une main tendue dans le brouillard |LUKA|

LUCY MONROE & LUKA JENSEN

une main tendue dans le brouillard

"Mariquita, vege al infierno !"* cria un barbu baraqué avant de plaquer Lucy contre un mur avec son bras. L'assemblée du bar les regardait avec de grands yeux et Lucy esquissa un sourire de défi avant de lui donner un coup de genoux dans les burnes. Elle avait l'impression qu'il était très violent et plutôt stylé, mais vu ce qu'elle avait dans le nez, c'était plutôt minable. Mais vu que c'était pareil pour le gars, il fit un bond en arrière et valdingua contre une table. Elle porta une main à sa tête en s'empêchant de rire.  

Là, vous devez probablement vous demander comment Lucy en était arrivée à se battre bourrée à mains nues contre un latino transphobe d'un mètre quatre vingt dans un bar bondé d'un quartier peu recommandable de Los Angeles. Fâcheux concours de circonstance ou mauvaise décision ? Malheureusement pour elle, c'était un peu des deux. Elle était sortie très tard du centre ce soir-là, elle avait refusé de laisser repartir seule une jeune fille qu'elle sentait trop fragile et avait donc dû attendre avec elle au moins trois heures que sa mère vienne la chercher. Elle le faisait souvent, ça ne la dérangeait pas et ça lui évitait de s'inquiéter. Elle se disait souvent qu'elle s'investissait trop pour très peu de reconnaissance et aucun salaire mais se faisait ensuite la réflexion qu'il lui fallait bien un endroit où mettre son énergie, un but, une utilité, dans la vie, non ? En sortant, impossible de faire démarrer sa voiture, trop tard pour appeler un dépanneur évidemment, alors elle était partie dans une rue plus fréquentée à la recherche d'un taxi. Le taxi introuvable, la flemme et la fatigue lui tombant dessus, elle avait échoué dans un bar du coin devant une bière, en se disant qu'elle allait se détendre un peu et qu'elle appellerait ensuite quelqu'un pour venir la chercher. Sauf qu'entre temps forcément elle s'était faite aborder par au moins cinq gars, d'une lourdeur s'échelonnant du gros beauf sale à l'à peu près supportable au second degré. Pas mal de temps était passé, elle s'était pas mal faite offerte à boire, alcool grâce auquel elle avait commencé à apprécier la compagnie des gens du bar. Une chose en enchaînant une autre, elle s'était retrouvée dans un tournoi de bras de fer, auquel elle avait voulu participer, ce qui avait provoqué l'hilarité générale, personne ne se doutant que la jeune femme blanche fluette cachait une poigne de fer. Elle avait enchaîné les victoires, morte de rire et complètement rouge, sous les acclamations et les sifflets des curieux et des parieurs. Sa tendance à s'engager dans n'importe quoi pour le fun et en suivant la vague sans réfléchir à sa sûreté la menait parfois à ce genre de situations, cocasses d'un certain point de vue, mais qui d'un moment à l'autre pouvaient virer au dangereux. Elle l'avait compris lorsque le barbu qu'elle venait de battre au bras de fer lui avait déclaré sur le ton de la blague un peu haineuse qu'elle gagnait sûrement parce qu'elle était un travelot (qui était probablement un terme générique pour toutes les personnes trans), et qu'elle, sans y réfléchir, s'était levée pour déclarer d'un ton fier que oui elle était trans (ce qu'elle aurait évité de faire sobre dans cette situation), que oui elle l'avait bien battu, et qu'il l'avait dans le cul (quelque chose de goûtu dans ce ton là). C'était à partir de là que tout avait escaladé. Très vite. Et qu'elle était en train de boire encore un shot qu'on lui tendait alors que le gars était en train de se relever, sûrement pour venir lui mettre un bon coup. Une partie de la foule était évidemment du côté de l'homme et lui criait en espagnol de se relever et d'aller lui casser la gueule, une autre partie regardait la scène avec fascination, sûrement un peu hébétés par l'alcool. Bon sang mais qu'est-ce qu'elle faisait ici. Bon sang. Elle essaya de balbutier quelques insultes en espagnol mais elles ne furent pas vraiment audibles, elle finit par réussir à s'exclamer, en chancelant un peu et d'une voix pas très claire :

"Viens te battre si t'es un homme. Vas-y je t'attends ! On va voir !"


*"Sale pédé, va en enfer!" (espagnol approximatif hein j'étais allemand LVB)