Cardinal Sin

On raconte que les chats aiment grimper en hauteur pour pouvoir se rapprocher des oiseaux. Peut-on lire par-là qu'ils aiment simplement l'ascension au pouvoir ?
Ou bien n'est-ce là qu'un moyen pour contrer leur jalousie envers les créatures du ciel ?

(...)

"J'ai pris avec moi des couleurs, beaucoup de couleurs. Mais j'ai une préférence pour la couleur jaune. Elle a quelque chose de violent, de repoussant. Une manière pour moi de brutaliser les gens."

Dans son sac polochon rose framboise dormaient moult paires d'aérosols, tous de teintes criardes vêtus. Le bleu noir, les marrons taupes et les rouges briques sont restés en retrait ; aujourd'hui Leo il veut marquer le gris anthracite des hautes sphères avec ses peintures aveuglantes.
Bonjour les couleurs essence et les violets psychédéliques.

C'est la nuit. Il se disperse, jette sa capuche sur ses cheveux. Les milles lumières de la cité des anges illuminent son dos alors que le mur devant lui projette une ombre béante. Terrifiante. La muraille s'étale sur plusieurs mètres. Sûrement qu'il s'apprête à jeter son dévolu sur la bâtisse d'un vivant lambda qui doit être en train de pieuter à l'heure qu'il est. C'est pas pour rien qu'il se trouve là le matou, dans les quartiers riches. Parce qu'il sait pertinemment qu'il s'attaque à son pire ennemi anonyme.

Entre les babines du chat : un bâtonnet incandescent qui marque un point rouge dans le noir de la nuit. Et ça divague, rejette des particules blanches toxiques dans l'air et l'asphalte. Ses manières sont un peu disparates. Leo le chat. Un chat couvert de puces, sans doute.

"Alors, comment je vais te marquer ?"

Si c'était permanent, on aurait pu comparer l'art du graffiti à du tatouage urbain. Une manière comme une autre d'apposer un souvenir solide et puissant. Peut-être... Leo, il pose le genou au sol et écarte les pans de son sac pour y trouver les couleurs symboliques. Celles qui hurlent à la nuit, avant que la sirène rouge de la loi n'intervienne.

Ses pattes habiles tirent les bombes de l'esquisse pour dessiner les premières ébauches sur le béton. Y a quand même une certaine procédure à suivre quand il graffe, le chat. À commencer par le contour pourri de cette société mondaine qu'il dénonce. Et après, les mouvements se font plus rapides, se jettent sur la surface. Parfois ça bave, ça éclabousse. Son treillis beige dépenaillé se prend les crachats des aérosols sans broncher.

Et il fait pas vraiment attention le félin, quand des regards inquisiteurs lorgnent dans l'ombre, à la manière des souris qui épient le chafouin. Il fait pas gaffe quand du mouvement se fait entendre par derrière, bien trop plongé dans son œuvre destructrice. On ne lit pas son expression cachée derrière les mèches rebelles qui traversent sa figure comme mille et une cicatrice.

Leo the cat + Isa the diva

Entre vandalisme et art de rue !

Tu es là, tu devrais te trouver à la maison, manger avec la famille. Enfin une famille, ton père, sa foutu nouvelle compagne que tu ne supporte pas, et le fils de cette dernière, ton demi-frère. Ce petit bout de chou, tu l’aime bien, il est mignon, mais jamais tu ne l’avouerai devant ton père, qui s’en doute bien, et moins encore devant la mère du petit, qui s’en servirait contre toi. Tu devrais être en train de manger avec eux, tous ensemble. Tu devrais être en famille, c’est le soir, c’est la nuit, mais te voilà dehors. Mais cette femme t’a énervée. Il t’a suffit de la voir rentrer avec un tas de paquet de shopping alors que son petit était là, tout seul toute l’après-midi avec toi. Et elle profitait de l’argent de ton père. Oubliant même qu’elle avait un fils qui avait besoin d’elle. Un petit bonhomme d’environs 8 ans, un peu pot de colle. Sans doute trop à ton goût. Alors quand il fallut passer à table et qu’elle a commencé à parler de sa superbe journée shopping avec ses amies, une fois de plus, ce fut de trop pour toi. C’est toujours trop pour toi. Ton père et son argent sont à toi, pas à elle. Cette femme a le don de te mettre hors de toi. Alors tu es dehors, tu es loin pour ne pas la voir. Tu n’aurais pas été très gentille avec cette femme refaite.

Assise sur un banc, tu reste seule, tu veux rester là pour te calmer avant de rentrer. Tu ne veux pas t’engueuler avec ton père à cause de cette morue. Tu ne veux pas lui faire ce plaisir. Tu vois bien le petit sourire qu’elle a en coin quand ton père et toi, vous vous prenez la tête. Et le pire pour toi, c’est d’entendre ton père prendre sa défense. Tu n’aime pas lui faire ce plaisir. Tu sais qu’elle aime trop cela. Tu sais qu’elle monte le bourricot à ton père pour qu’il prenne sa défense, pour qu’il se range de son côté comme à chaque fois. Oui, tu la vois vraiment comme un monstre. Tu aurais envie de partir, de demander à ton père de te payer un superbe appartement dans lequel tu pourrais vivre loin d’elle. Ta petite vie à toi. Mais tu sais aussi que quitter la maison lui ferait trop plaisir. Elle n’attendrait pas bien longtemps pour transformer ta chambre en sa nouvelle penderie.

Ton téléphone à la main, tu regarde la photo de ton père qui s’affiche alors qu’il tente de te joindre. L’ignorant une fois de plus, tu relève le regard pour tomber sur un jeune homme. Un mec habillé d’une capuche le cachant. Et un sac à dos rose framboise sur le dos. Si il n’y avait pas ce sac, tu l’aurais sans doute trouvé louche. Tu l’observe, il t’intrigue pour le coup. Tu le vois sortir ce qui semble être des bombes de peinture. Un graffeur. Un petit délinquant. C’est peut être la première fois que tu vois un de ces gars au travail. Tu en a vue des graffitis en ville, mais c’est bien la première fois que tu le vois être réalisé. Il fait un choix de couleur criardes. Et finalement, tu t’approche.
« C’est à considérer comme une œuvre ou comme du vandalisme ? »
Tu sais que ces gens aiment se considérer comme des artistes bien souvent. Sauf que parfois, c’est juste une histoire pour se rebeller. Alors tu veux savoir dans quel camp le jeune homme se place. Avec ce choix de couleur, tu aurais plutôt tendance à le mettre dans la case des vandales.