soirée concert... et plus si affinités | RP libre

C’était une belle soirée, pour cette période de l’année. Alors que la vieille voiture de Lucy crachait son fioul dans les rues de Los Angeles, le soleil se baissait contre la mer dans un ciel sans trop de nuages. En attendant le printemps, il n’y avait pas mieux à son sens que s’enfermer dans des caves à boire et écouter du bon rock. On y crevait de chaud comme nul part ailleurs, et sans fenêtre on croirait presque que les saisons n’existent pas, et que n’existent pas non plus le jour et la nuit. C’était un truc qu’elle aimait. On avait l’impression de vivre un moment qui existait hors du temps. Ça, c’était quand elle était philosophe, sinon en vrai elle aimait juste les bons riffs et l’alcool. Il fallait qu’elle se change les idées de toute façon, vu que tout partait un peu à vau-l’eau. A force, l’évitement de ses problèmes était un peu devenu une seconde nature pour la jeune femme. Lorsqu’elle arriva dans la salle de concert, il était déjà un peu commencé, elle n’aimait pas arriver en avance et attendre comme une conne alors que personne n’était là, elle aimait arriver un peu après le début, alors que l’ambiance commençait à s’échauffer et que les mecs avaient encore quelques dollars en poche pour lui payer des verres. Parce que bon, c’était un de ses jeux favoris d’essayer de tenir la soirée sans débourser un centime juste en papillonnant des yeux et en acceptant d’échanger quelques mots cordiaux, et parfois aussi un peu gênants, avec toutes sortes de types, en échange d’un verre. Généralement, ça ne débouchait pas en grand chose, c’était comme ça après tout. Comme à son habitude, il semblait qu’elle venait de sauter d’une Dolorean venue tout droit de la Californie des années 70, avec de grosses boucles d’oreilles ambrées, une large blouse marron-orangée très transparente sortant d’un jean taille haute, perchée sur des sabots à talons très hauts que beaucoup de gens trouvaient probablement affreux, mais pas elle. En entrant, elle se glissa à travers la foule pour aller écouter le groupe quelques minutes, les observant sous l’effort dans la lumière tamisée, fixant ses yeux parfois sur les doigts du guitariste en commentant intérieurement sa façon de marquer ses accords. Une fois ce petit temps d’appréciation pure de la musique passée, elle se fraya un chemin jusqu’au bar auquel des quantités astronomiques de bière étaient commandées bruyamment. En face d’elle, attendant probablement son verre, elle remarqua un type pas mal du tout, qui avait l’air seul. Et qui aimait la bonne musique du coup. Avec la furtivité d’un félin, elle traversa le groupe bruyant d’amateurs de bière et vint s’adosser contre le bar à côté du type. Elle posa alors ses yeux bleus perçants sur l’homme avant de s’adresser à lui avec un ton amusé et détendu. “Je pourrais tenter pleins de questions un peu nulles du genre “sympa ce groupe, non ?” ou “tu viens souvent ici ?”, mais comme je suis sympa, je vais t’épargner ça.” Elle eut un sourire en coin. “Si tu n’as rien de mieux à faire, paie moi un verre. On pourra parler de ce que tu veux, à part de tes embrouilles avec ta mère ou des rendez-vous chez le véto de ton chien, ça c’est chiant.” Elle avait conscience qu’elle pouvait un peu passer pour une folle parfois à aborder les gens comme ça. Tout le monde n’adhérait pas à son humour. Parfois elle essayait “normalement”, mais elle n’aimait pas ça. Ce genre de conversations bateau de quand on rencontre les gens, on a tout le temps les mêmes qui se répètent, elle trouvait ça morne, ennuyeux. Alors oui, parfois les gens ne marchaient pas du tout et la regardaient comme si elle avait un homard à la place de la tête. Sans parler des types qui flairaient à des kilomètres qu’elle était trans et se contentaient de la regarder de haut en bas avec un air alarmé et partaient en marmonnant que ça ne les intéressait pas. Elle regarda ses ongles et sourit à nouveau à l’homme en ajoutant, la main tendue vers lui. “Je m’appelle Lucy.”