pv. Mlle Monroe + an other night.

O vin, ô sang, c’est l’apothéose ! / Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire / Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres / Magnétisez nos pauvres vertèbres,

C’était de plus en plus fréquent en ce moment. Lucy voulait sortir comme d’habitude en ignorant son envie au fond d’elle de se terrer dans son lit dès qu’elle rentrait du supermarché. Les soirs où elle travaillait au Naughty H il n’y avait pas de problème, après tout elle avait un loyer à payer, et elle avait tellement quelque chose à faire constamment là-bas que c’était presque agréable, pas le temps de penser. Elle appréciait même ces moments, n’être rien qu’une ombre amenant des choses d’un point A à un point B, n’être rien qu’une main posant des verres, n’être rien qu’un objet pour des regards tordus par le délice du péché. Elle aurait peut-être dû s’arrêter un peu, aller voir un psy, prendre des vacances, bref essayer de gérer son deuil d’une autre manière qu’en faisant comme s’il n’existait pas. Mais ça, c’était le grand classique. Ce soir-là, à peine passé le pas de la porte elle avait presque courut se changer et se remaquiller rapidement avant de ressortir immédiatement. Arrivée au bar où elle rejoignait quelques connaissances, elle avait enchaîné les verres plus vite que son ombre, non pas vraiment pour se soûler le plus vite possible (du moins pas consciemment) mais parce qu’elle était entraînée dans la ferveur du groupe, pleine d’énergie, s’exclamant à tout va. Cette période lui donnait aussi des sautes d’humeur, qui n’étaient pas améliorées par la boisson, et comme personne ne savait ce qu’il se passait dans sa vie, elle paraissait juste un peu dingue. Si bien qu’à à peine 22h30, déjà très très entamée, à un niveau presque pathétique, ce qu’elle masquait en étant la jeune femme drôle et un peu fofolle qu’elle était toujours, un cran au-dessus tout juste, elle décida soudainement de s’en aller. En quelques minutes à peine, elle commença à trouver toute l’atmosphère insupportable, tous les gens autour d’elle moches et cons, le lieu horrible. C’était peut-être ses médocs, il fallait peut-être changer les dosages en cas de choc émotionnel, mais elle ne pouvait pas plus s’en foutre de quelque chose que de ses médocs. Quelqu’un, voyant son état, proposa de la raccompagner en voiture, ne sachant pas qu’elle était venue à pied, et qu’elle comptait bien repartir à pied. Ce qu'elle fit quelques minutes plus tard, dans l'indifférence générale. Elle levait le nez vers la lune régulièrement et ses pas étaient parfois hésitants, elle tournait autour d'un poteau comme si c'était un numéro de danse, ou sautait sur un trottoir comme une gamine. Au bout d'une trentaine de minutes, ou peut-être un peu plus, elle ne se rendait pas vraiment compte, elle arriva dans sa rue. Elle sortit rapidement son téléphone pour se recoiffer dedans et se tapoter les joues comme si elle paraîtrait sobre comme ça. En même temps, c'était quand même quelque chose de rentrer aussi tôt chez elle. Mais peu importe. Le tout était que tout cela paraisse normal pour Fallon, qui était probablement éveillée, Lucy ne voulait pas qu'elle s'apitoie sur son sort. Lorsqu'elle entra, elle s'efforça d'esquisser un de ces sourires malicieux dont elle avait le secret. “Hey hey hey !” rit-elle comme salutation. Cela ne cacha pas le fait qu'elle ne marchait pas très droit. En même temps, elle avait tout le corps engourdi, c'était pas facile. Elle s'assit dans le canapé à côté d'elle, ne plus avoir à bouger ses jambes fut une délivrance même si la pièce tournait un peu. Lucy entreprit d'enlever ses chaussures, puis releva la tête pour voir le popcorn. Elle avait tellement l'impression que rien n'était droit qu'elle se demandait sérieusement comment elle avait réussi à marcher sans encombre jusque chez elle. “Oh merci !”. Elle attrapa une petite poignée de pop corn et en fourra une bonne partie dans sa bouche. La question de Fallon mit un moment à monter au cerveau, elle avait eu le temps de lui demander avec un petit rire :  “Tu regardes quoiiii ?”. Elle se rappella ensuite qu'elle lui avait posé une question, alors qu'elle croisait les jambes et décrochait ses cheveux, ressemblant un peu à une prêtresse étrange.  “Bof je sais pas les gens m'ont soûlé. Ils arrêtaient pas de parler de politique, j'en ai rien à foutre moi.” Lucy avait soudainement l'air irrité, l'alcool la faisait changer d'émotion très très vite. Elle était presque en colère sans trop de raison. “Pffff tsais le genre de personne qui croit avoir un cerveau de cent kilos depuis qu'elle est à la fac, hyper ribli... ribliclule... ridiclule... Enfin tu vois quoi.”