William | Pardon, j'ai la tête dans les étoiles lorsque je travaille...

Désormais habitué, j'ouvre les yeux après avoir revu une fois de plus une scène qui n'a plus tellement sa raison d'être. C'est enterré tout ça. Mais ça continue régulièrement de se glisser dans mes nuits. Et il n'y a rien que je peux faire pour l'éviter. Ce n'est pas un cauchemar causé par tel ou tel aliment ou parce que j'ai passé trop d'heure collé devant un écran. Ce ne sont pas non plus mes lectures sur les monstres folkloriques ou les légendes de feux de camps. Ce n'est que le passé qui refait surface, venant me rappeler que j'ai eu une vie avant d'arriver ici et qu'elle était différente. C'est un fardeau usuel qui me rappelle qui je suis et ce que j'ai fait pour en arriver là.

Me glissant hors des draps puisque je sais pertinemment que je ne dormirai plus, je me dirige par habitude vers la douche pour chasser le malaise sans que ce ne soit véritablement efficace. Vient ensuite le café pour essayer de réveiller un peu mon esprit puisque l'eau chaude n'y est pas parvenu. C'est peine perdue. Le bassin appuyé contre le comptoir de la cuisine, j'essaie de me ramener les idées claires, me frottant les yeux et l'arrête du nez, de même que les tempes avant que ma main ne retombe et que mon regard ne se porte vers l'extérieur et que je ne le fixe un moment. Très bien, ce sera l'exercice qui me remettra sur pieds aujourd'hui. Et comme je sens que ce sera long, autant se rendre à Griffith Park.

Un jogging enfilé, j'attrape au dernier moment un chandail molletonné à capuchon puisqu'avec cette brume de rosé, je risque rapidement de regretter les chaleurs de mon Australie natale. Du moins, celles des journées d'été. Même si la Californie a ses périodes de canicules elle aussi. On y est pas encore.

Un taxi sifflé et le chemin jusqu'au parc se fait sans encombres puisque j'en profite pour glisser mes écouteurs sans fils dans mes oreilles et activer une liste audio. Je n'ai pas envie de parler pas envie de côtoyer quelqu'un, pas tant qu'il y aura ce malaise. La course payée, le cab repart tandis que je profite pour faire quelques étirements. Les muscles doucement réchauffer, je prends le premier sentier qui me tombe sous la main. Ou sous le pied dans ce cas-ci. Je n'ai pas regarder les indications, alors espérons que ce ne sera pas de ceux qui nécessite de grimper. Même si c'est peut-être exactement ce qu'il me faut. Dépenser de l'énergie au maximum et n'avoir plus que ça à penser. Ça vaut le coup d'essayer, c'est pourquoi j'enchaîne les pas, en rythme sur la musique qui accélère tranquillement aux fils des morceaux, la playlists étant conçue pour ça. Plusieurs titres passent et je commence à retrouver un état normal, cependant pas encore assez éveillé apparement, je ne perçois pas l'ombre près du sol. Mon saut de côté étant effectué à retardement, je vais boullé sur le sol, me réceptionnant comme je peux.

Sans réel mal, quelques muscles qui protesteront plus tard peut-être, en particulier le dos, je me redresse pour me dépoussiérer, réalisant au moment ou elle parle que le petit paquet sur la chaussée était en fait une femme. De grands yeux inquiets et un appareil photo. Le format mignon et artistique.

- Non, ça va, assurais-je. Et vous, je ne vous est pas fait mal? Demandais-je avec un sourire qui se veut chaleureux.

Comme je le disais : je retrouve tranquillement mes marques. Suffit de savoir qui je ne lui ai pas démoli une côte en ne la détectant pas avant.

Elle s'excuse, demandant si tout va bien de mon côté. Je lui passe les détails, affirmant simplement que ça va, lui retournant la question par une politesse feinte. Des égratignures mineures, de nouvelles excuses gênées, une tentative de plaisanterie au sujet d'un gilet de sûreté. Ça, où éviter de se tenir sur les routes, pensais-je en grimaçant intérieurement. Je n'en laisse cependant rien paraître, affichant un visage plutôt sympathique alors que je réponds calmement :

- Les pistes sont plus tranquilles aussi tôt. Je ne pensais pas croiser âme qui vive à cette heure non plus, indiquais-je avec un léger sourire diligent.

Un instant, mon regard se fixe sur son appareil photo dont elle prend soin avec une attention particulière. Artiste dans l'âme et cette lentille est son moyen d'expression. Pigé. Mais outre ça? Probablement une canalisation pour une timidité que je lui devines selon quelques mouvements nerveux. Ça peut être un jeu intéressant. Suffit que le cerveau se réveille assez pour que j'aie la totale maîtrise de mes aptitudes, mais ça se fait peu à peu. Finalement la brise matinale aide. Le roulé-boulé aussi, faut le reconnaître, même si les muscles n'étaient pas particulièrement prêts.

- La vue est magnifique un peu plus haut sur le sentier, surtout à cette heure, la renseignais-je en pointant vaguement la pente douce. Je vous accompagne si vous le voulez, proposais-je. Ça m'évitera de vous foncer dessus ou qu'un autre le fasse, fis-je avec un léger rire.

Elle ne connaît pas l'endroit, du moins c'est cette partie. Même si elle ne connaît pas le parc dans son entièreté, sa version de celui-ci doit différer de tout ceux qui y passent. ...ou presque puisqu'il doit y avoir d'autres artistes qui y viennent régulièrement. Mais combien avec appareil viseur collé à l'oeil pour se recroquevillé sur la route?

- En espérant que celui-là vous conviendra, souris-je agréablement. D'ailleurs, je n'ai pas ruiné la photo que vous preniez? La questionnais-je avec une petite moue d'excuses.

À dire vrai, je m'en fou particulièrement, mais ça paraît toujours mieux ainsi : faire le beau, être gentil, aimable, s'inquiéter pour le sort et les intérêts des autres. Petit à petit, ça ajoute des points au compteur. Et qui sait si ça ne serait pas utile un jour de l'avoir dans les papiers. Oui, c'est souvent une histoire de calcul. Une stratégie en quelque sorte. Savoir placer ses pions sur l'échiquier pour ne pas être la première ligne à prendre un coup lorsque nécessaire ou pouvoir distribuer facilement un revers si on doit encaisser. En gros, être toujours en contrôle du terrain sur lequel on avance.

- Enchanté, Yuina, souris-je. William, me présentais-je en tendant la main, tentant d'apparaître le plus sympathique possible.

Avançant sur le sentier, je marche tranquillement, laissant tomber mon jogging matinal pour faciliter le tout à la petite artiste qui m'accompagne.

- Sujet pour les cours ou reportage? Questionnais-je, essayant de la faire parler un peu.

Normalement, en engageant sur les intérêts et les passions, ça donne de meilleurs résultats, même avec les timides. Bon après, y'a les cas à part, mais si elle accepte de faire un bout de chemin en ma compagnie.

J'hoche la tête à sa réponse. J'y connais pas grand chose en photographie. J'en prends et j'en publie parfois sur les médias sociaux, mais un selfie n'a rien à voir avec ce qu'elle peut bien faire j'imagine. Et si on parle des clichés de paysages que j'ai pu prendre, il y aurait probablement à redire sur le cadrage, l'éclairage et bien d'autres détails qui ne me viennent pas en tête. Ce n'est pas ma force. Je m'y connais beaucoup plus en gravures et reliures. Et encore c'est pour les remettre en état. En dehors de ça, mon sens artistique est assez limité. J'apprécie, sans pour autant pouvoir produire. Alors je restaure.

Chemin faisant et après présentations, je la questionne sur ce qui peut bien l'amener dans ce parc à cette heure. J'hypothèse. Elle me semble assez jeune pour être étudiante, mais je pourrais tout autant être à côté de la plaque et qu'elle soit déjà sur le marché du travail. Dans ce cas… future journaliste? Ou à mi-chemin et blogueuse peut-être? Pourtant, elle m'apprend que ce n'est pas un article pour un quelconque journal, site ou application qui l'amène ici, mais bien un contrat professionnel.

- Sujet intéressant, admis-je avec une légère moue approbatrice. Une façon de faire voir Los Angeles sous un autre jour? Fis-je avec un petit sourire amusé. Vous avez souvent des commandes de ce genre?

La plupart du temps, les gens vont vouloir voir l'enseigne Hollywood, le Walk of Fame, Disneyland, Universal et autres différents studios ou endroits dit prestigieux, qui pour la plupart se situe en ville. À moins peut-être de faire le tour de bus qui les conduira de villa people en châteaux nouvel ère. J'imagine que ça peut être sympa de sortir des sujets classiques connus et reconnus des visiteurs et montrer ce dont la L.A. regorge également.

Sa curiosité me tire un nouveau sourire tandis qu'elle me retourne en un sens ma question, s'informant de la raison de ma présence sur les sentiers. Je lui réponds sans me faire prier, reprenant ses termes.

- Sportif matinal, la renseignais-je. Mais disons que je suis plutôt tombé du lit, ce matin.

...comme bien des matins, en fait. Mais là n'est pas la question. Et avant qu'elle ne la pose, j'attire son attention sur le poste d'observation que l'on atteint. Vue sur le parc en contrebas avec le centre-ville à l'horizon.

- Est-ce que ça vous convient, chère demoiselle? La questionnais-je, esquivant un signe de présentation parfaitement cliché, quelques notes de rire glissant sur mes lèvres.

- C'est de joindre l'utile à l'agréable alors, hochais-je avec un sourire.

Si elle en fait normalement son dada, elle n'a certainement pas hésitée à prendre cette commandes. J'avoue que certains paysages, valent le détour à Los Angeles - et je ne parle pas de l'enseigne Hollywood, je n'en ai que faire - mais ce parc et certains autres domaines naturels des alentours, ça n'est pas si rare que je parte en balade pour me changer les idées.

Arrivé au point d'observation mentionné, je fais mon gentilhomme, demandant si la vue convient. Qui sait si je ne suis pas à des milles de ce qu'elle veut. Cependant, vu le perchoir et le panorama qu'il offre, je ne suis pas si inquiet. Son expression me fait d'ailleurs comprendre que j'ai même visé juste.

La laissant faire ses réglages, je m'installe un peu en retrait pour ne pas faire parti de son cadrage, surveillant d'abord le chemin même si je me doute qu'on est probablement les seuls chouettes éveillées du secteur. Le stationnement du parc commence peut-être tranquillement à se remplir, mais c'est encore trop tôt pour qu'on risque de voir débarquer des enfants gazouillants et courant partout suivis de parents qui beuglent. Qui plus est, c'est tellement calme que je risque d'entendre n'importe qui arriver. Je me permets donc de glisser mon regard vers la jeune photographe. Parfaitement concentré sur son appareil photo, elle ne capte plus ma présence et si je parles, je risque même de la voir sursauter. Parfaitement dans son univers, elle évolue en faisant milles et une manipulations qui rendront probablement ses clichés parfaits, mais dont je n'ai pas percé le mystère. Bien que je ne l'aie pas cherché non plus. Je préfère largement continuer de contempler le résultat que d'essayer de ses moindres mouvements.

Mes yeux suivent le mouvement de ses mains aux doigts, captent la petite fossette de sourire qui se forment. Je ne vois pas ses yeux ni la majeure partie de son visage, mais simplement à ses gestes, je sais qu'elle est ravie. Un point pour moi alors. Lorsqu'elle juge avoir tout ce dont elle avait besoin, elle semble reprendre contact avec la réalité et calcule à nouveau ma présence. Un peu étonné, je la vois s'incliner brièvement pour me remercier. Oula! Si on joue dans les traditions, c'est pas le même genre de défi, là! Faudra faire attention à tous gestes et paroles. Ça peut compliquer les choses. Reste à savoir si je voudrai m'en donner la peine! On verra bien!

Sa timidité refaisant surface, j'en craque un discret sourire. Mignonne la petite photographe quand même! Je ne sais pas de quoi elle me parle qui a fait son bonheur, mais tant mieux! À sa proposition, je me redresse m'approchant d'elle en hochant la tête de manière affirmative.

- Si vous me le permettez, acquiesçais-je.

Me plaçant à ses côtés, je me penche légèrement pour voir l'écran posant une main très légère au bas de son dos à une hauteur raisonnable et de la façon la plus naturelle qui soit, comme si je n'avais aucune malice. Pas d'inquiétudes à se faire, je n'ai pas l'intention de pousser réellement plus loin, je veux simplement voir comment un contact direct peut se passer. Je tâte le terrain quoi. Très tranquillement.