Et une stagiaire de plus !

Dès que le candidat que j'auditionnais disparut derrière la porte de mon bureau, je me laissais aller contre le dossier de ma chaise, abandonnant mon sourire de circonstance pour lever les yeux au ciel. Oh, ce n'était pas par rapport à ce candidat en particulier, son dossier était intéressant, plus que le précédent, mais à partir du huitième, je commençais à fatiguer d'entendre toujours les mêmes choses en réponses aux mêmes questions. Je me massais la nuque, fatiguée. J'avais peut-être un peu abusé en rentrant à  sept heures ce matin... Je commençais à le payer. Un mal de tête arrivait, et celui-ci allait jouer sur ma patience... Après avoir fermé les yeux dix secondes, je les rouvris et appuyais sur le bouton pour entrer en communication avec mon assistant. D'une voix calme et résignée, je m'informais : « Combien encore ? ». La réponse me soulagea. La dernière de la journée, enfin ! « Parfait, parfait... Et qui dois-je tuer pour avoir une salade enfin composée de véritables légumes organiques ? »

Je me saisis d'une nouvelle feuille blanche après m'être dégourdie les jambes en faisant le tour de mon bureau, appréciant son côté design et sa touche de verdure avec toutes ces plantes, avant d'indiquer à Lorenzo qu'il pouvait faire entrer la dernière candidate. Son curriculum vitae était bref, mais j'avais décidé de lui laisser une chance. A dix-sept ans après tout, c'est difficile de faire très long... La demoiselle tombait bien, j'étais dans ma période de bonté. Je me sentais disposée à laisser sa chance à n'importe qui de motivé, et qui ne demandrait qu'à me convaincre de sa volonté d'apprendre. Cette petite avait une chance, à elle de la saisir. Attendant qu'elle entre, j'observais mon reflet dans le Mac qui tronaît à ma gauche, retouchant rapidement mon rouge à lèvres émeraude. Aujourd'hui, le maître mot était “vert”. J'étais habillée d'un bustier assorti à mon rouge à lèvres et d'un pantalon à pattes d'éléphants pourpre, avec aux pieds ma toute première paire de Louboutin. Que voulez-vous, on ne refait pas les classiques. Je ne portais en guise de bijou qu'un grand bracelet en bois autours du poignet droit. Simple, mais coloré. Je n'avais pas eu le temps d'y réfléchir davantage en repassant par chez moi...

Satisfaite du résultat, je m'adressais un signe de tête, puis posais mon intérêt sur la jeune demoiselle qui venait de rentrer dans mon domaine. La dernière candidate de la matinée... chantonnais-je dans ma tête, la perspective de terminer bientôt avec tous ces entretiens, ou au moins de prendre une pause, améliorant mon humeur. Je lui offris un petit sourire, observant sa silhouette d'un oeil appréciateur. Elle n'était pas assez mince pour pouvoir prétendre devenir mannequin de défilé, mais elle avait ce petit quelque chose qui pouvait enflammer l'inspiration d'un photographe, ou d'une couturière telle que moi. Elle serait ravissante dans une robe courte rose pâle... Sur sa peau bronzée, la couleur ressortirait merveilleusement. Ses cheveux noirs coiffés en une tresse en épi... Oui, ce serait charmant.

J'attendis qu'elle prenne place en face de moi avant d'entamer les hostilités. « Bienvenue, mademoiselle Whanau, j'espère que vous avez été bien reçue. Dites-moi, que ressentez-vous à l'idée de présenter votre candidature dans ma maison ? » Je ne pris pas la peine de me présenter, elle savait très bien où elle mettait les pieds. Devrais-je être un peu plus sympathique en raison de son jeune âge et de sa probable inexpérience dans l'art de se vendre correctement face à de possibles patrons ? Peut-être. Je verrai bien, si sa façon d'être me plaît ou pas.

Un bon point pour elle, elle maîtrisait bien sa nervosité. Elle me répondit avec applomb et honnêteté, ce que j'appréciais à sa juste mesure. Et bien sûr, j'avais également droit au passage à un petit coup de pommade pour mon ego. Cela me tira un petit sourire. Cela me tira un petit sourire. Cette jeune fille avait bien travaillé les bases d'un entretien. Toujours flatter son possible employeur ! Et cela marchait d'autant plus sur moi. Après les difficultés que j'avais rencontrées, j'aimais qu'on me rappelle l'ampleur de mon succès professionnel. J'hochais la tête, marquant mon accord avec sa dernière phrase. Effectivement, il lui serait difficile de trouver une telle opportunité en restant aux Etats-Unis. La plupart des grandes maisons se trouvaient en Europe, pour obtenir un stage comme celui-ci, la petite demoiselle devrait en plus s'offrir un voyage sur le vieux continent. Enfin peut-être en avait-elle la possibilité, et qu'elle se résoudrait à la saisir si elle n'obtenait pas la place ici.

« Et bien tout dépendra de cet entretien, mademoiselle Whanau. » lui répondis-je gentiment avant de retirer le capuchon de mon stylo pour me tenir prête à noter les élèments intéressants de ses réponses à mes questions. Bien, il était temps de passer aux choses sérieuses... « Je vois sur votre C.V. Que vous avez fait un stage chez H&M, tout s'est bien passé ? Quelles étaient vos occupations ? » Je savais également qu'elle dessinait, et j'étais intéressée d'en voir le résultat. Avoir un sens artistique est de mise lorsque l'on souhaite se lancer dans la mode. Je tenais également à connaître sa position quand à ce milieu, pourquoi est-ce qu'il l'intéressait suffisamment pour vouloir y travailler.« Lorsque vous aurez obtenu votre diplôme, que comptez-vous étudier exactement ? Vers quoi désirez-vous vous orienter ? » Couturière ou chef d'entreprise ? Petite main, assistante, ou sous les feux des projecteurs ? Je tenais à connaître sa réponse pour pouvoir me faire une idée de son caractère. Mon assistant, Lorenzo, par exemple, aurait tout à fait pu se trouver sous la lumière s'il l'avait souhaité, mais sa timidité et son humilité l'en empêche. J'y gagne un merveilleux assistant, qui pourrait tout à fait me détrôner si seulement il le souhaitait. Etait-elle de nature plutôt discrète, ou à l'inverse, désirait-elle briller ?