A little party never killed nobody [Priam]

C’est pour la bonne cause, qu’elle se répétait en boucle dans sa tête sans parvenir à décrocher un sourire à son agent assis à côté d’elle dans la voiture. Il l’y avait presque trainée et dut presque la jeter dehors. Gala de charité. Gracie détestait ça. C’était à ses yeux juste une occasion pour les riches de se retrouver entre eux pour montrer à la petite populace ô combien ils étaient généreux. L’invention la plus hypocrite des riches, simplement histoire de crier sur tous les toits «Regardez, on est tellement géniaux qu’on se donne même l’immense peine de faire des bals pour la cause des pauvres. » Attention ! Elle ne crachait pas le principe d’aider les causes qui valaient la peine d’être soutenues, mais sur le besoin chronique d’en faire un spectacle. Au pire, signe un chèque à l’ONG de ton choix mais ne te sens pas obligé d’en informer le monde entier.
Elle y participait cependant, parce que « C’est bon pour l’image », selon Franck. L’idée d’aller devoir sourire aux journalistes et serrer des dizaines de mains la saoulait déjà. Pour une fois, elle se passerait bien d’apparaître devant les caméras. Attrapant sa robe de soirée d’une main pour éviter de trébucher dedans en descendant de la voiture, elle inspira avant d’afficher un grand sourire parfaitement factice mais très bien fait et sortit. Trois sourires et deux mots aux journalistes plus tard, elle s’enfuit de la cage aux lions dès qu’elle en eut la possibilité pour rentrer dans l’hôtel qui abritait l’événement. Brrr. La jeune femme détestait les mondanités dans ce genre, sans compter sa robe trop serrée à la taille, trop décolletée à son gout, trop rouge pour ne pas attirer l’attention. Gracie n’aimait pas non plus les robes de soirée, bien sûr magnifiques mais tellement inconfortables. En fait elle n’aimait pas porter grand-chose à par des pulls trop larges et des baskets. Sans son styliste, elle ne ressemblerait pas à grand-chose.
D’un coup d’œil, elle repéra le bar dans la salle de réception. Oooh. Voilà que sa soirée se présentait tout de suite mieux. Elle ne se sentait pas le cœur à aller discuter maintenant, alors aller prendre un verre d’abord semblait une bonne idée. Le style lui interdisait de s’avachir sur un tabouret comme un phoque échoué alors elle s’y assit avec classe et demanda une vodka à la barmaid. Par tous les dieux de l’enfer, soupira-t-elle intérieurement en repérant du coin de l’œil le jeune homme assit deux tabourets plus loin. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Elle devait avouer avoir légèrement sursauté en s’apercevant de sa présence. Ce n’était pas anormal dans le fond, juste terriblement malencontreux.

« Je ne m’attendais pas à te croiser par ici. », commenta-t-elle sans même lui souhaiter le bonsoir. Terrible manquement à la bienséance.

Codage par Libella sur Graphiorum

Et voilà. N’apprendrait-elle jamais à penser d’abord et parler ensuite. Si elle s’était contentée de lui dire bonsoir, de finir son verre avant de se barrer et d’aller discuter avec… Peu importait avec qui, mais avec quelqu’un d’autre, leur discussion se serait arrêtée là. Alors que là, c’était purement une invitation à la conversation. Brrr, mauvaise manœuvre. Gracie réprima la folle envie de changer de tabouret en même temps que lui. Elle était certes très gamine mais ce n’était pas le genre de soirée où il fallait le hurler sur les toits en agissant comme si elle avait encore quatorze ans. Son sourire s’effaça. Qu’avait-elle de si particulier pour qu’il se sente obliger de revenir vers elle à chaque fois comme un boomerang qu’elle aurait lancé ? Si elle le jetait, c’était justement pour qu’il ne revienne pas. Que dalle, échec total puisqu’il était encore là ce soir à supposer de l’immense bonheur que sa présence lui procurerait.
Priam n'avait pas exactement visé juste : pour le moment elle aspirait juste à finir son verre et à tenter un repli stratégique vers les autres convives. Surtout qu’elle savait que la réalisatrice du film qu’elle tournait en ce moment était là aussi. Aller la voir n’aurait rien de surprenant, elle y pensait déjà avant mais ça lui donnait une occasion toute trouvée de fuir Priam et ses lunettes ridicules. Se voyant mal déambuler dans toute la salle pour trouver quelqu’un en particulier, elle laissa ses yeux parcourir la foule en sirotant son verre.

« Absolument pas. », répliqua-t-elle.

Un sourcil levé, Gracie regarda Priam l’espace d’une demi seconde avant de s’en détourner de nouveau.  Elle termina son verre et en commanda un deuxième (« La même chose s’il vous plaît. »). Le deuxième et dernier, se promit-elle, puisqu’au-delà elle se lancerait dans le cercle vicieux « oh et puis juste un de plus » jusqu’à rouler par terre, raide saoule. Autant finir raide saoule en publique n’était en soit pas exceptionnel chez elle (pas forcément dans ce genre d’événements mais soit), alors elle s’en fichait un peu, autant devant Priam, sa fierté en prendrait un trop gros coup.

« Mais tu vois, au moins tu m’apprends que tu n’as pas l’intention d’un jour travailler avec moi et ça, c’est sans doute la seule chose positive que m’apporte ta présence, parce que la perspective ne me donne pas envie du tout. »

Elle soupira. Elle-même se trouvait bien méchante avec ce pauvre gars. Il devait être un brin masochiste pour revenir vers elle à chaque fois. Surtout qu’elle ne savait pas le moins du monde ce qu’il attendait d’elle. Il revenait à chaque fois l’air de rien. Il était peut-être con comme une brique, mais dans ce cas ça se verrait davantage sur son lui général. Non, définitivement, elle n’arrivait pas à le cerner. Ça plus son attitude de rappeur gangsta moraliste à deux balles, elle n’arrivait pas non plus à l’apprécier.

Codage par Libella sur Graphiorum

Lui ôter son petit sourire satisfait, voilà ce dont elle avait envie. Gracie avait le désagréable sentiment que Priam s’amusait à l’énerver et détestait ça. Pourquoi avait-elle accepté de venir déjà ? La bonne cause ? Elle pouvait aussi bien la supporter depuis son canapé, mais maintenant qu’elle était à cette foutue réception, elle devrait y rester. En plus de devoir se coltiner Priam qui semblait collé à ses chaussures comme un caneton aux pattes de sa mère. N’avait-il donc personne à emmerder ou pour lui tenir compagnie ? Elle ne savait plus quoi faire pour qu’il lui fiche la paix. Elle avait essayé l’honnêteté, la méchanceté mais rien ne semblait pouvoir le dégouter d’elle. Il lui faisait penser à l’âne de Shreck, toujours à suivre Shreck partout quand bien même l’ogre avait tout fait pour s’en débarrasser.  Priam avait aussi la même tête à claque que l’autre bourrique. Et la même tendance à lancer des petites remarques insupportables. Elle n’avait nul besoin d’un reminder supplémentaire pour lui rabâcher que boire trop d’alcool c’est dangereux, c’est mal…

« Je dormirais ici plutôt que de te demander de me raccompagner. Surtout que, désolée de te l’apprendre, il n’y a que toi pour t’effondrer au bout de deux verres. C’était plus les deux verres du courage pour m’aider à te supporter plus longtemps. Il me faudra au moins ça. »

Sauf s’il se prenait d’une soudaine envie d’aller taper la discussion à quelqu’un d’autre, mais à en juger par sa réflexion, ce n’était pas le cas. Bien sûr qu’elle était ravissante. C’était le but de toute sa tenue, et aussi celui de tout le monde présent ce soir-là. Après tout, n’était-ce pas là le but de ce genre de festivités ? S’exhiber. Sinon inutile d’en faire un bal. D’ailleurs, plus elle y pensait, plus elle se disait qu’elle aurait dû emmener Aiden avec elle, ou qui que ce soit. N’importe qui, mais un cavalier pour lui servir d’alibi et s’éloigner de Priam. Aiden aurait rendu la soirée nettement plus amusante. Là, elle était juste seule avec Priam.

« Je te retourne pas le compliment. » Une dernière gorgée acheva son verre. « Le plus beau costard du monde ne suffirait pas à me faire oublier à quel point tes lunettes sont ridicules. »

Voilà, elle ne pouvait plus se cacher derrière son verre, maintenant vide, et ne voulait pas en reprendre un. L’idée d’être assez saoule pour envisager de demander à Priam de la raccompagner comme il l’avait gentiment suggérée ne l’enthousiasmait pas le moins du monde. Dieu savait de quelles conneries elle était capable quand elle avait trop bu. Un nouveau coup d’œil lui confirma qu’il n’y avait toujours personne dans cette salle qu’elle aurait pu aller voir sans que ça ne paraisse étrange. Pourquoi était-elle arrivée aussi tôt ? Le dicton ne disait-il pas « les stars doivent savoir se faire attendre », ou quelque chose dans ces eaux là ?  Maudits Franck et son sens de la ponctualité à toute épreuve. Trop ponctuel même.

« Tu n’as pas des poignées de main à distribuer ou ton âme à vendre à je ne sais quel producteur d’ailleurs ? »

Codage par Libella sur Graphiorum