Retour au bercail [Ciaràn]

Assis dans la salle d’attente, Billy fixait son billet d’avion. Aller simple pour Los Angeles. Ca y était, il rentrait au bercail après douze ans. Le temps était passé si vite. Pourtant il n’avait jamais oublié. Ni ses amis, ni sa famille, ni Dolores. Ni ce qu’il avait fait. Il avait pensé que l’éloignement l’aiderait à passer à autre chose, à oublier ce meurtre. Mais rien n’y avait fait. C’était désormais gravé en lui. Levant les yeux, il jeta un œil sur le siège vide à côté de lui. Peut-être aurait-il dû rentrer en même temps que son meilleur ami plutôt que de faire cavalier seul. Mais il hésitait encore. Il était encore temps de faire machine arrière mais il estimait qu’il avait suffisamment fui comme ça. Personne n’était venu lui mettre les menottes aux poignets et il ne devait pas risquer de se faire pincer pour un crime qui remontait à douze années. L’une des rares personnes avec qui il avait gardé contact était Ciaràn même s’il ne donnait que peu de nouvelles au final. Le fait qu’ils se connaissent depuis tout petits et le fait qu’il était flic y était sans doute pour quelque chose. Bon, il était de la brigade de protection des mineurs, ce qui n’avait pas grand-chose à voir avec les meurtres liés à autre chose mais tout de même. Dans un sens, cela rassurait Billy autant que cela l’effrayait. Néanmoins, il avait prévenu Ciaràn de son retour. Peut-être qu’ils pourraient se voir pour fêter ça. Billy avait besoin de retrouver un peu ses racines. Et même s’il n’était pas né à Los Angeles, c’était là qu’il avait passé le plus clair de son temps.

Enfin, les portes s’ouvrirent et Billy put monter à bord. New York/Los Angeles, ce n’était pas si loin que ça. Quelques heures d’avion tout au plus. Billy en profita cependant pour faire un petit somme. Par chance, l’avion n’était pas plein et il n’avait pas à se coltiner un ronfleur ou un morveux trop agité. En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, il était arrivé à Los Angeles. Ce fut même une hôtesse qui le réveilla. Une fois à terre, il emplit ses poumons d’air de là-bas. Bon, c’était le même air mais savoir qu’il était de retour chez lui lui faisait du bien. Il mourait d’envie d’une cigarette pour fêter ça. Ou mieux : un bon vieux cigare comme il les aimait. Mais pour cela, il faudrait attendre d’avoir récupéré son bagage, son chien et de sortir de là. Il voyageait léger, le plus gros de ses affaires le suivait dans un autre avion. Maintenant, il lui faudrait se trouver un toit rapidement. Avec jardin, c’était mieux pour Buzz.

Bagage et chien récupéré, il suivit les passagers qui l’avaient accompagné dans son voyage, regardant autour de lui d’un air distrait. Revenir ici le rendait nostalgique paradoxalement. Plein de souvenirs l’assaillaient et il se demandait si revenir était finalement une bonne idée. Il ne devait pas perdre de vue son objectif mais tout ça lui faisait un peu peur malgré tout. Buzz, bien que calme, tirait un peu sur sa laisse, curieux de découvrir ce nouvel endroit.

« Oui, on est bientôt dehors… Patience ! »

Quand tu as reçu le message de Billy, tu étais fou de joie. Revoir un ami d’enfance. Qui ne serait pas heureux ? Vous vous êtes connus quand vous n’étiez que des gosses. Vos parents se connaissaient déjà avant votre naissance. Il était presque impossible pour vous de ne pas forger une amitié au fil des années. C’était le destin. Alors oui, tu étais très heureux d’apprendre le retour de Billy. Durant ces douze années, beaucoup de choses ont changé dans vos vies. Tu n’es pas sûr de comment tu vas expliquer tout ce qui s’est passé dans la tienne à ton ami et encore moins si tu en as réellement envie. Tu préfères nettement l’entendre parler de ses douze ans, ça t’évitera d’avoir à ramener à la vie des sujets que tu as enterrés depuis des années.

Alors tout heureux que tu étais en ce dimanche de repos, tu laisses ta flemmarde de fille chez vous et prend la voiture pour te diriger vers l’aéroport. Selon toi, lorsque tu lui as demandé l’heure d’arrivée de son vol, Billy s’est douté que tu viendrais le chercher. Tu ne te doutais pas qu’il n’en avait pas la moindre idée. Comme un gosse, tu ne tiens pas en place dans ta voiture mais le trajet n’est pas long jusqu’à l’aéroport. Le dimanche, personne ne roule. Tout le monde dort. Sauf toi. Tu te gares au parking et c’est presque le trajet entre ta voiture et l’aéroport qui te prend le plus de temps. Malgré tes longues jambes, tu as l’impression que la marche dure cent ans. En réalité, tu es vraiment excité de retrouver ton ami.

L’attente n’est pas longue car finalement, il se trouve que tu arrives au dernier moment. Tu te tiens devant la porte de sortie que commencent à emprunter les passagers du vol ayant déjà récupérer leurs bagages. Etonnamment, tu es plus grand que tout le monde donc bien que légèrement en arrière – car après tout, comparé aux personnes venues chercher leurs familles, tu n’es là que pour accueillir un ami qui ne t’attend même pas –, tu vois parfaitement la porte d’entrée. Et en réalité, tu ne le reconnais pas tout de suite. Douze ans, ce n’est pas rien, à votre âge. Vous avez tous les deux bien changés. Il ne portait surtout pas de barbe avant de partir ! Mais c’est sa démarche et son attitude qui te font tilter. Le voir tenir un chien en laisse te surprend à peine. Tu te redresses alors, décollant ton dos de la colonne sur laquelle tu t’appuyais et fais quelques pas en avant pour l’intercepter directement dans son trajet. « Hey, Billy ! » Tes yeux pétillent quand tu l’appelles. Bordel, ce qu’il a changé. Tu n’en es pas moins heureux de le retrouver.

De vous deux, c’est sans aucun doute toi qui a le plus changé, et surtout grandi, alors, l’ayant interpelé, tu lui laisses le temps de remettre tes yeux bleus et doux et ton large sourire habituel.

Quand Ciaràn avait demandé à Billy à quelle heure son vol était censé le fait atterrir à Los Angeles, il n’avait pas fait le lien avec le fait qu’il viendrait le chercher. La question n’avait même pas éveillé sa curiosité car il était loin de penser que son ami d’enfance aurait le temps et l’envie d’aller à l’aéroport. Il avait seulement supposé qu’il demandait ça par curiosité. Il était loin du compte. Du coup, en parcourant l’aéroport pour sortir, il ne fit pas spécialement attention aux gens qui l’entouraient puisqu’il n’attendait personne. Buzz était content de pouvoir se dégourdir les pattes, tout comme son maitre, ce qui fit sourire ce dernier en le voyant renifler partout. Il ne connaissait pas encore Los Angeles mais ça allait venir. Alors qu’il remontait l’allée qui permettait de sortir de l’aéroport, il entendit son nom avant même de voir quelqu’un se mettre sur sa route. Des Billy, il y en avait plein. Mais là c’était vraisemblablement lui qui était visé puisqu’on se mettait sur sa route. Billy se stoppa comme s’il avait craint de percuter un rocher tant il fut surpris. Il haussa les sourcils en observant l’homme qui l’avait ainsi intercepté. Ses yeux ne le reconnurent pas tout de suite mais sa voix ne trompait pas. Il l’avait déjà entendue à de nombreuses reprises.

« Ciaràn… ? »

C’était une question théorique, le temps qu’il assimile que la personne qui se tenait devant lui était bien son ami d’enfance. Il avait changé mais qui n’aurait pas changé en douze ans ? Il était devenu un tout autre homme. Un homme élégant, solide, grand. Il était même plus grand que lui au final, ce qui ne le vexa pas le moins du monde. Une fois que le cerveau de Billy assimila l’information que celui qui se tenait devant lui était bien Ciaràn, Billy leva les bras.

« Ciaràn ! Vieille canaille !! Je m’attendais pas à te voir ! »

Il s’approcha pour l’étreindre, lui donnant une forte accolade. Il avait l’impression qu’il ne l’avait pas vu depuis une éternité. C’était un peu le cas quelque part. Douze ans, ce n’était pas rien. Il avait dû louper beaucoup de choses. Clairement, ils auraient de quoi discuter pour un moment. Buzz vint renifler Ciaràn, curieux de voir à qui son maitre parlait. Billy s’écarta un peu et caressa la tête de son chien.

« Je te présente Buzz. Il est un peu agacé du voyage donc il va être un peu vif pour un moment mais c’est une crème ! »

Au moins il savait que son chien ne poserait pas problème, qu’il se montrerait juste pour amical que la normale, trop heureux de pouvoir se défouler un peu. L’estomac de Billy gronda un peu. Même s’il avait eu un maigre repas dans l’avion, ce n’était rien qui pouvait combler son appétit.

« Ca m’fait plaisir de te revoir vieux frère. Je meurs de faim. On va se manger un truc, histoire d’être posés pour discuter un peu ? »

Une vague de soulagement s'écrase sur ton esprit lorsque Billy te reconnait enfin. Tu avais un peu peur du contraire, peur d'avoir trop changé, trop vieilli pour être tout de suite reconnu de ton ami d'enfance. Pourtant, et comme à son habitude, il ne te déçoit pas. Tu l'étreins comme si vous ne vous étiez jamais quittés mais tu sais qu'une fois Billy posé et installé, vous aurez du temps à rattraper, des années à vous raconter car même si vous correspondiez de temps en temps, on n'écrit pas tout dans une lettre ou un mail. Un rire s'échappe de tes lèvres étirées en un sourire tandis que tu tapotes doucement son dos. Vous n'avez que peu changé dans vos attitude. Tu as toujours été le gamin plus réservé et moins brute de décoffrage que ton acolyte Billy, que tu as toujours envié pour l'honnêteté de ses réactions. « Salut mon vieux... » Tu rayonnes. « Je pouvais pas vraiment attendre. » Tu ne peux pas oublier que des années durant, Billy a été un de tes seuls vrais amis. Vous avez un lien que tu n'as jamais voulu ou cherché à remplacer.

Lorsque tu sens quelque chose de chaud et humide effleurer le bout de tes doigts, tu baisses les yeux pour observer le chien qui se tient à tes pieds et te renifle avec méfiance. Tu n'as pas peur des chiens. Si tu le pouvais, tu en aurais un, mais ton travail aux horaires si longues et aléatoires ne te le permet pas. Alors, tu allonges la main, paume vers le ciel pour le laisser te sentir. Quand il se rapproche et se frotte enfin à ta main, tu sais que tu peux lui donner quelques caresses. « Pas de problème. Tu sais que ce n'est pas un souci. » Si effectivement, le chien est vif, il ne te parait pas le moins du monde agacé. Il a plutôt l'air soulagé d'être sorti de sa soute de malheur. « Il n'a pas pu voyager avec toi dans l'avion, je suppose. Ça ne m'étonne pas qu'il soit contrarié. »

Tu acquiesces à sa requête. Manger ne te ferait pas de mal non plus car à part deux oursons en gélatine, tu n'as rien avalé depuis la veille au soir, trop épuisé pour manger. Te poser à table avec ta fille pour lui tenir compagnie pendant le diner et le déjeuner était déjà une corvée que tu t'appliquais à remplir malgré tout, mais voir son assiette pleine te donnait la nausée. Tu marches avec Billy jusqu'au parking de l'aéroport où tu t'es garé et l'aides à mettre sa valise dans le coffre de ta voiture. « Tu peux garder le chien avec toi à l'avant, si tu préfères. » Vous vous installez alors et en un rien de temps — car tu conduis toujours aussi vite que lorsque tu as passé ton permis —, vous êtes sur le boulevard qui vous mène vers Venice Beach. Par un temps si chaud et ensoleillé, tu te dis que Billy ne pourra pas refuser un déjeuner tardif au bord de la plage.

« Alors, tu as fait bon voyage ? »