Un café pour nous lier // Zoey&Soan

La lumière blanche d’hiver baignait le studio. Soan venait tout juste rentrer du travail. Le tournage du film sur lequel il travaillait ces temps-ci avait fini assez tôt comme il l’était prévu. Le cadreur avait craint que la séance ne s’étire comme c’est bien souvent le cas dans ce milieu. Mais sa bonne étoile lui avait permis de sortir à l’heure. Soan n’était pas du genre à courir après le temps d’habitude. Ce jour-là était bien différent. Soan y avait songé toute la matinée et la boule aux ventres ne semblait pas vouloir partir. Pourquoi être si anxieux ? Il allait enfin rencontrer une amie de plusieurs mois. Une amie qu’il ne connaissait qu’à travers son écran. Et s’il était angoissé, c’était par peur de décevoir. S’il ne trouvait rien à lui dire ? Si un silence pesant les gardait muets ? Par réflexe, il mordilla l’intérieur de sa joue tandis qu’il posait ses affaires de travail à côté du bureau de son studio.

Il avait encore du temps avant de la retrouver au Starbucks, là où ils s’étaient donné rendez-vous. Mais avant ça, il devait récupérer son fils à l’école. Pas le temps de procrastiner s’il ne voulait pas être en retard. Enroulé dans sa veste qu’il ne quittait presque jamais, à part pour la laver quand même, il sortit de la résidence, les écouteurs dans les oreilles.
Récupérer Théoden fut rapide. Ce dernier lui raconta sa courte journée. Contrairement à son père, il était bavard. Trop bavard des fois. Au moins, ça occupait l’esprit de Soan et l’empêchait de penser à son rendez-vous éminent.

Théoden lui faisait encore un long descriptif toujours aussi flou de son gâteau de pâte à sel.
- Mais c’est génial ça, s’exclama Soan alors qu’il n’écoutait que d’une oreille distraite.
- Et la maîtresse a dit qu’on allait préparer des cadeaux pour Noël. Et même que le Père Noël va venir.
- T’en as de la chance ! T’as été assez sage cette année ?
- Maman a dit que oui.
- Si maman l’a dit alors.

Toujours un œil sur l’horloge de la cuisine, Soan préparait rapidement le goûter du gamin qu’il dévora en seulement quelques minutes. Le cliquettement des clés dans la serrure retentit et Théoden se précipita pour embrasser sa mère. Soan soupira intérieurement. Il pourrait bientôt partir. Les parents se saluèrent à peine, ne demandèrent que par routine comment avait été la journée de l’autre. Soan laissa Théoden dans les bras de sa femme et se connecta à son ordinateur. Il pouvait sentir le regard exaspéré de sa femme dans son dos. Les critiques n’allaient pas tarder à le lacérer… Mis à part l’ignorance, elle ne lui accorda pourtant pas plus d’importance.

- Je sors, lui annonça-t-il au bout de plusieurs minutes.

L’affirmation passa mal. Soan eut le droit à plusieurs questions, mais il resta assez flou, lui évoquant juste qu’il allait retrouver des amis. Le jeune père détestait mentir. Cacher ainsi la vérité à sa femme ne lui plaisait pas plus qu’à elle. Mais elle n’était pas idiote et lui dit qu’elle savait très bien que ça avait un rapport avec les gens avec qui il parlait sur internet. Elle détestait ce monde dans lequel il s’était embourbé. Et lui, il détestait la pression qu’elle lui mettait en permanence. Sans demander son reste, il reprit sa veste et sortit avec la douloureuse impression que tous les efforts qu’il avait faits jusque-là pour leur couple étaient tombés à l’eau.
Pour rejoindre le Starbucks, il n’eut pas trop le choix que de prendre le métro. Ses écouteurs lui furent d’un secours indéniable dans un tel amas d’humains bruyant et odorant. Ce ne fut pas avec déplaisir qu’il entra dans le café. Un coup d’œil à l’intérieur de la salle lui apprit que de toute évidence, elle n’était pas arrivée. Il s’était donné des signes distinctifs pour se reconnaître. Lui, c’était sa veste noire et l’anneau doré qui pendouillait de façon volontaire sur son torse pour qu’elle puisse le remarquer. Les mains moites, il s’assit sur une banquette libre. Il n’osait pas fixer l’entrée, mais ne pouvait s’empêcher de relever la tête à chaque nouveau client.

Sa bouche était sèche tandis qu’il attendait. Même si ça ne dura que quelques minutes à peine, il eut l’impression que c’était une éternité. Pourtant, Zoey n’était même pas encore en retard. Sa peur le comprimait. Il avait envie de fuir. Mais qu’est-ce qu’il foutait là ? À part briser une bonne entente virtuelle, il n’en retirait rien de bon. Il en était persuadé. Au moment même où il décida de tenter sa chance de prendre la poudre d’escampette avant qu’elle n’arrive, la porte du Starbuck. Son regard se posa automatiquement sur la nouvelle arrivante. Elle portait une couronne de fleurs sur la tête et une veste en jean. C’était Zoey. D’ailleurs, elle s’approcha de lui après l’avoir regardé pendant quelques secondes. L’anxiété de Soan remonta en flèche et il eut l’impression que toute sa salive avait disparu. Putain d’angoisse irrationnelle.

- Hey ! Zoey !, la salua-t-il gauchement, moitié assis moitié debout.

Son cerveau tournait à mille pour cent pour savoir quoi lui dire. Si le malaise s’installait dès maintenant, c’était fichu. D’ailleurs, il ne sût pas que faire de son corps. Lui serrer la main, lui faire la bise ? Il craignait que l’une ou l’autre de ces solutions la vexe et la choque. Bon, autant partir sur un autre terrain. Maladroitement, il lui signifia la banquette du geste de la main, l’invitant alors le rejoindre.

- Je t’attendais pour commander quelque chose, lui apprit-il en reprenant sa place.

Une fois assis, il posa enfin réellement pour la première fois ses yeux sur son amie du web. Résultat : il en resta tout déconcerté et pantois. Zoey et lui ne s’étaient jamais envoyé de photographie d’eux-mêmes, s’étaient à peine décrits physiquement. Ils avaient juste partagé leur âge au cours d’une conversation anodine. Cette fille devant lui… Elle ne pouvait pas avoir l’âge qu’elle avait prétendu. Ou alors elle faisait bien plus jeune que son âge. Vingt-cinq ans, vraiment ?! Soan n’était pas homme à juger sur le physique, c’est pourquoi il n’avait pas cherché à s’imaginer comment Zoey pouvait être. Mais il avait pensé qu’il rencontrait quelqu’un qui avait l’air… comment dire… mâture physiquement... Ses longs cheveux, sa peau dorée, ce physique athlétique. Elle était loin de l’image de la geek qu’on pouvait s’imaginer. Ce qui étonnait d’autant plus Soan. Il essaya de faire abstraction à ce mystère même s’il avait bien l’intention d’en savoir un peu plus. Oui, Soan pouvait parfois se montrer curieux, surtout lorsqu’il soupçonnait qu’on lui ait menti.

- Alors tu… t’as passé une bonne journée ?
« Bravo, Soan, ça, c’est une magnifique entrée en matière. »
- Je suis content de pouvoir mettre enfin un visage sur la fameuse Zoey, essaya-t-il de briser la glace, mais il sentait qu’il allait s’embourber dans des discours incompréhensibles. S’il n’aimait pas beaucoup parler, ce n’était pas sans raison. On devrait aller commander, sinon ils vont nous mettre dehors. Qu’est-ce que tu vas prendre ? Je te parie qu’ils orthographient mal mon prénom.
« Ouais, parler du café, c’est pas mal ça », s’autofélicita-t-il intérieurement.

À vrai dire, il avait listé des sujets de conversation lorsqu’ils s’étaient décidés à se rencontrer. Bien sûr, la majeure partie de cette liste était constituée de films et de séries. Il lui adressa un sourire amical. Il n’arrivait pas encore à savoir si elle était déçue ou non.