La famille c'est toujours fantastique. (ft Patrick)

Devoir se lever de son lit tôt le matin pour aller régler des trucs administratifs potentiellement avec la personne qu'on déteste le plus au monde, c'est juste le bonheur total pour n'importe qui. C'était bien le programme de la journée de Patrick pourtant. La semaine précédente il avait reçu un appel du service fiscal auquel il n'avait pas compris grand chose à part qu'il devait se pointer pour signer des trucs. Cela arrivait de temps en temps, ils ne pouvaient pas effectuer certaines opérations sans avoir son accord en plus de celui de Jonathan, enfin, c'est ce qu'il en comprenait. Au bout de quelques temps ils avaient compris que ça le faisait profondément chier et ils essayaient de faire par paquets dans le but de le faire venir le moins possible. Patrick soupçonnait un peu son frère d'avoir demandé de ne pas l'avoir dans ses pattes. Donc il venait, des gens dont il ne comprenait pas vraiment le job parfois lui expliquaient de quoi il s'agissait, il n'y comprenait rien, il ne posait pas de question et disait "oui oui" en signant avant de partir sans demander son reste. Franchement, il y avait pire dans la vie, simplement l'idée qu'il allait devoir au moins passer dire un bonjour courtois à Jonathan suffisait à lui pourrir sa journée ; et rien ne pouvait le pousser à se réjouir ce matin-là, ni de bons toasts chauds, ni la présence de son petit-ami, ni une musique entraînante. Il essaya à nouveau la musique entraînante dans sa voiture en allant au quartier d'affaires, mais non plus. On aurait pu penser qu'il se sentait obligé d'au moins enfiler une chemise pour se rendre au siège, mais il n'en avait aucune envie. S'il faisait souvent des efforts pour sortir ou pour des rendez-vous professionnels, là ils auraient droit à son total look d'ado attardé habituel, jean usé et t-shirt Marvel. Ce n'était pas comme si ils pouvaient le virer pour tenue incorrecte de toute façon. Au pire les autres employés devaient penser qu'il était un de ces gars de la Silicon Valley. Bref, l'informaticien se pointa à l'accueil pour se faire indiquer où il devait aller, et pour signaler sa présence au grand manitou, son idiot de frère. A peine Patrick avait-il traversé deux couloirs que ce dernier vient à sa rencontre, un sourire de petit con plaqué aux lèvres. "Enchanté." marmonne Patrick en soulevant les sourcils. Il pouvait arrêter avec ses grandes phrases pour se donner l'air poli ? Ou était-ce sarcastique ? Oui, probablement ça l'était. Il croisa les bras avant de répondre : "Ils m'ont appelé pour signer des trucs, je croyais que tu le savais. Une histoire d'achats ?" Il soupira et se passa une main dans les cheveux. Il avait beau s'être préparé mentalement toute la matinée à devoir affronter Jon, là il n'appréciait vraiment pas sa position. Ils arrivaient à peine à rester cordial et risquaient de passer sur un terrain glissant à tout moment. De plus Patrick se sentait constamment jugé et ce n'était pas très agréable, même s'il ne faisait pas mieux de son côté.

Patrick ne tarda pas à comprendre à l'air que pris Jonathan qu'il avait visiblement sauté dans un piège. Les papiers à signer par le service juridique semblaient être une couverture pour un rendez-vous en tête à tête avec son frère. Autant dire, le purgatoire. Il se demandait de quoi il s'agissait. Ne se gênant pas pour sérieusement lever les yeux au ciel, il entra dans le bureau de Jonathan et s'installa sur un fauteuil devant la table. Le fait que son frère fasse le tour pour s'installer dans la chaise du président de l'autre côté du bureau au lieu de prendre simplement le siège en face de lui pour discuter en disait beaucoup trop sur la dimension tordue de leur relation. Immédiatement, Patrick abaissa son regard, se sentant déjà, sans même que la conversation aie commencé, diminué par Jonathan. Il avait pris le verre qu'il lui avait tendu mais maintenant il le regardait en se demandant ce qu'il allait en faire. Il n'aimait déjà pas énormément le vin, mais alors tôt le matin comme ça, bon sang ce type était le sosie de leur père et ce n'était vraiment pas une bonne chose. Il se contenta de le poser sur le bureau, chaque seconde de silence entre eux lui paraissant durer une éternité. Quelques papiers furent posés devant lui, il ne les regarda pas vraiment et remonta un regard dubitatif vers Jonathan qui énonçait son désir de lui racheter ses parts. Ce n'était pas qu'ils en avaient parlé, mais évidemment cela avait toujours été un peu dans l'air. Patrick le réalisait mais cela ne l'empêchait pas d'être surpris. Il n'avait jamais pensé que Jonathan sauterait un jour le pas de vraiment lui poser la question, puisqu'en deux ans il ne l'avait jamais fait. Ce qui le vexa le plus, c'était qu'il lui dise "ton prix sera le mien", comme si Patrick en avait quelque chose à foutre de l'argent, comme s'il était aussi obsédé par la réussite et le nombre de zéros dans son compte en banque que lui. L'informaticien croisa ses bras et, sans lacer un seul regard à son frère, lui dit à mi-voix : "Non." Ses lèvres se serrèrent. "J'arrive pas à croire que tu m'attires ici pour me demander ça." rajouta-t-il d'un ton nerveux. Pour pallier à sa nervosité soudaine, il attrapa le verre de vin et en but deux longues gorgées de manière absolument peu élégante. Cela le calma deux secondes avant que l'énervement ne reprenne possession de lui. "C'est non. Donc je suppose que tu n'as plus qu'à trouver un tueur à gages pour m'éliminer une bonne fois pour toutes de ta vie." Il plaisantait à peine. Non pas qu'il pensait son frère capable d'un truc pareil, mais il était à peu près sûr qu'il avait dû considérer l'idée plus d'une fois. Lui aussi avait constamment envie de le tuer de toute façon, donc c'était fair play. Néanmoins, il n'était pas complètement contre l'idée de vendre ses parts, il avait eu il y a quelques temps un dîner avec un type lui proposant la même chose. Il devait juste réfléchir à ce qui ferait le plus chier Jonathan entre les vendre à quelqu'un d'autre, possiblement quelqu'un de très mauvais en business, et les garder jusqu'à son dernier soupir sans lever le petit doigt.

Patrick vit tout de suite que sa réaction ne convenait pas à Jonathan. En même temps, à quoi s'était-il attendu exactement ? Une pluie de fleurs et qu'il lui laisse tout son héritage en un claquement de doigt ? Il ne comprenait vraiment rien à rien. Ils se comprenaient d'ailleurs si peu tous les deux qu'on aurait pu croire qu'ils avaient été élevés séparément dans des pensionnats ou quoi, alors qu'absolument pas. Si les choses s'étaient déroulées autrement, est-ce que Patrick serait devenu un véritable cliché de patron riche comme lui ? Ou est-ce que Jonathan serait devenu un loser geek comme lui ? Ou est-ce qu'ils seraient restés les mêmes mais ils se seraient quand même entendus ? Enfin, ce n'était plus vraiment important. C'était comme ça maintenant, et avec des si... Il se doutait que Jonathan allait essayer de le convaincre en tout cas. Il devait y penser depuis si longtemps qu'il n'était pas près d'avoir épuisé son stock d'arguments. De toute façon, les raisons qu'avait Patrick de garder ses parts étaient irrationnelles, alors il ne savait pas vraiment comment le brun voulait s'y prendre pour le faire céder. Il ne se voyait pas non plus partir sans l'écouter. Les yeux du blond se froncèrent à l'instant où Jonathan se mit à mentionner leur père. Vraiment, il jouait cette carte ? Patrick était intimement persuadé que son père ne l'avait jamais aimé. Pendant un temps, il avait essayé de changer ça et de lui plaire, mais il avait toujours été clair que M. Winkfield voulait un successeur plutôt qu'un fils. Il n'avait pas élevé Jonathan, il l'avait coaché. Et comme si leur famille était un épisode de The Apprentice, Patrick avait été éliminé à la première épreuve. Sans parler du discours anxiogène ambiant qui l'avait poussé à refouler son homosexualité jusqu'à trente ans. Mais tout cela, Jonathan ne le réalisait pas. Il ne pouvait pas comprendre, il était devant dans la course et ne regardait pas derrière lui. Ou peut-être que Patrick se victimisait trop, après tout il n'avait jamais manqué de rien. "C'est ce qu'il aurait voulu, oui, tu as raison." dit Patrick doucement, les doigts encore crispés sur son verre. Il aurait voulu lui répondre un truc un peu sec et cool à la fois, mais c'était Patrick, il en était incapable. Plus il réfléchissait à sa réponse, plus il se sentait blessé par la situation alors qu'il était parti pour prendre la main sur la situation et tenir tête à son petit frère. Il répéta lentement, pour lui même : "C'est exactement ce qu'il aurait voulu." Il souffla. "Toi là, sur ce fauteuil, à tout contrôler, à faire tout comme lui l'aurait fait, et moi... moi peu importe, du moment qu'on m'entend pas et qu'on me voit pas non plus, du moment que j'existe pas quoi. Ah ça, il aurait adoré que j'existe pas c'est sûr." Il secoua la tête et souffla à nouveau en se passant une main sur le visage. "J'étais tellement invisible pour lui qu'il en a oublié de me déshériter dans son testament... Et on en est là... Remercie le..." Il finit en buvant à nouveau une gorgée de vin et regarda Jonathan d'un regard vide et un peu triste. Il se montrait faible une nouvelle fois.

Pour ce qui était de dire non à John et de jouer les têtes dures, c'était vraiment raté pour Patrick. S'il avait été un mec plus affirmé, il lui aurait dit "je t'emmerde" et quitté la pièce depuis longtemps. Mais il était très loin d'être un mec affirmé, à vrai dire Jonathan était la personne au monde avec laquelle il se montrait le plus affirmé, et ce n'était pas beaucoup déjà. Il semblait que cette histoire d'achats n'était qu'une excuse pour Jon afin de lui balancer des horreurs à la figure. Patrick essayait de faire de même mais ça ressemblait plutôt à un étalage assez pitoyable de ses problèmes avec leur père. Si bien que Jonathan avait juste l'air surpris de ce qui sortait de sa bouche, semblant se demander ce qu'il était en train de raconter, comme si Patrick avait commencé à parler en norvégien ou dieu-sait-quoi. Pour cela, il était bien un vrai Winkfield, incapable de comprendre les sentiments des autres. C'était fatiguant. Patrick ne savait pas si la tension qu'il ressentait allait se transformer en encore plus de réactions pitoyables de sa part ou s'il allait réussir à un moment à vraiment s'énerver, ce qui ne lui arrivait jamais. Mais alors quand Jonathan se mit à lui reprocher de ne pas avoir été présent et de ne penser qu'à lui, alors là c'était vraiment le pompon. Sérieux, il se moquait de lui là ? L'hôpital se foutant de la charité. Patrick se mit simplement à doucement faire non de la tête en passant son doigt sur le rebord de la table, comme un gosse punit chez le directeur. En même temps, c'était un peu le cas... Il contemple Jonathan s'énervant, mais voit que tout cela joue sur ses nerfs également puisqu'il tripote anxieusement la chevalière de leur père qu'il porte à la main. Patrick finit par lâcher un long soupir, simplement incapable de choisir ses mots entre la pointe de rage qui l'étreint, la gêne de se trouver dans cette situation et sa tristesse à être dans une telle situation avec la dernière famille qu'il lui reste. Surtout, tout cela a l'air si important pour Jonathan, Patrick sait qu'il a de leur père cette obsession pour la perfection et qu'il est probablement incapable d'avoir une quelconque vie en dehors du bureau. Il trouvait ça un peu pathétique, oui... "Ce n'est pas parce que je ne suis pas obsédé par cette boîte comme toi que je ne m'intéresse à rien Jon... Excuse moi d'avoir une vie, un boulot, des hobbies, des amis, un mec." Il ajoutait évidemment ce dernier point juste pour faire chier son frère en lui rappelant ce fait qui, il le savait, le mettait mal-à-l'aise. Il soupira en réfléchissant à ce qu'il pouvait bien lui dire. Il ne sentait pas de réfléchir à vendre ses parts là, maintenant. De toute façon il disait oui à toutes les décisions que prenait cet idiot, donc qu'est-ce que ça pouvait bien changer que ces parts soient à lui ou à Jonathan ? Il n'avait absolument pas envie de céder, au mieux il réussirait à le convaincre de ne pas les vendre à quelqu'un d'autre comme il avait été tenté de le faire par plusieurs personnes ces derniers temps. Au mieux. "Lui faire honneur ? Vraiment, tu crois que c'est un de mes buts dans la vie ?" Il marqua une pause en remontant les yeux vers son frère, se demandant vraiment comment il pouvait penser qu'une chose pareil l'intéressait dans sa vie. Il vivait sa vie pour lui-même, pas pour faire plaisir à des morts. Et puis de toute façon, quoi qu'il fasse il n'aurait jamais fait honneur à leur père, parce qu'il s'en foutait de cette entreprise, parce qu'il n'avait jamais été ambitieux, parce qu'il détestait vivre à Beverly Hills, parce qu'il n'aurait jamais une petite famille américaine parfaite... Quoi qu'il fasse il ne faisait que s'éloigner de ce qu'il considérait comme l'honneur pour un homme. "Je ne sais pas ce que je vais faire. Mais si tu penses que m'accuser de tous les maux est une bonne stratégie, pardon mais je pense que cette conversation ne va nul part." Il cherchait à moitié à calmer le jeu, mais simplement parce qu'il était fatigué de l'attitude de Jonathan, comme d'habitude. "Tu n'arrêtes pas de m'accuser de n'avoir jamais été là. Tu ne penses pas que j'avais de bonnes raisons pour partir ? Et puis merde, depuis 3 ans, je suis là non ? Je ne suis pas retourné à Boston, que je sache ? Et tu trouves qu'on se voit beaucoup ? Je serais pas là ce serait pareil, admets le."