Aaron and Ulysse in the morning ! | ft. Ulysse

La climatisation souffle à nouveau à l'intérieur du Red Lion Tavern. Cela fait plusieurs jours que les degrés montent, comme s'ils faisaient la course contre le temps lui-même, plein d'espoir et de volonté. Lorsqu'il fait chaud à L.A., tout le monde à l'habitude de sortir prendre l'air, se balader, aller s'asseoir pour lire sous les rayons du soleil... Mais pas toi. Non, il faut entrer dans l'inventaire le nouveau stock de stout que tu viens de recevoir, et ça ne va pas se faire seul. Alors tu restes dans le bar, presque seul alors que tous tes clients et employés sont à l'extérieur en train de profiter. L'après-midi est à son pic, autour de 15h, et les bières commencent déjà à couler à flot.

Tu comptes les bières en bouteilles et les litres dans les fûts, tu notes le tout sur une tablette, dans un fichier tableur que tu gardes précieusement pour savoir quoi commander à tes fournisseurs. L'impression que cela dure depuis des heures t'épuise. Au fond du bar, un habitué lit un livre dont le titre te perturbe entre deux additions : L'insoutenable légèreté de l'être. Milan Kundera, cet homme qui plaçait sûrement l'amour au centre de tout comme tu commences à le faire, peu à peu. Tu poses la tablette sur le bar en te disant que toi aussi tu trouves insoutenable de constater comme l'être peut être léger, comme il doit lutter pour avoir un peu de poids.

Puis le regard dans le vide, tu es soudain happé par le carillon à l'entrée qui retentit. Le voir passer le pas de la porte te rappelle qu'en plus de l'inventaire, tu as la prochaine soirée musicale à préparer. Tu te sens comme débordé en ce milieu du mois d'avril, tu aurais besoin de paires de bras en plus et très certainement de cerveaux en rab. Alors tu relâches tes épaules, lui souris comme à un ami et t'approches pour claquer ta main dans la sienne. Ah bah, tu tombes à pic ! J'étais en train de me laisser mourir derrière le bar, je soufflerais bien un peu... Une forte inspiration quitte tes poumons. Je te sers quoi, à cette heure-ci ?

Les mains accoudées au meuble du bar, tu regardais Ulysse en souriant un peu jaune. Il y avait cette petite partie de toi qui ne supportait pas servir de l'alcool fort avant une certaine heure, encore plus à une personne que tu apprécies et pour qui tu commences à te poser des questions. Mais c'est le boulot, en devenant patron de bar tu n'as pas vraiment signé pour distribuer des bonbons. Euhm... Tu veux pas commencer la journée avec quelque chose de moins fort pour une fois ? Puis tu lui souris un peu en coin, ne voulant pas non plus t’immiscer dans sa vie qui ne te regarde sûrement que trop peu. Mais tu t'inquiètes, tu n'y peux rien. Oui pourquoi pas, il faut installer tout ce qui est technique.

Un peu blasé et avoué vaincu, tu sers son verre de scotch, neat, à ce cher Ulysse et lui lance : Fais attention quand même, avec ça... Essaye de freiner un peu si tu veux mon avis. suivi d'un petit clin d’œil. Puis tu ajoutes le whiskey sur sa note car chez toi, M. Cooper en a une avec 15% de réduction puisqu'il participe aux concerts que tu organises, et il la paye quand il le souhaite dans le mois. Une fois servi, tu sors de ta tanière et va en direction de la salle arrière qui servira de scène pour ce soir. Tu ne déplaceras pas les chaises et tables avant 1h au moins, mais les câblages sont tout de même à faire.

De loin, tu entends qu'Ulysse te parle d'Astrid alors tu te retournes rapidement. Dès que son nom est lancé, ça a cet effet sur toi, comme un suricate qui sort de sa tanière et s'intéresse soudainement plus que d'habitude au monde extérieur. Un petit souffle de douceur et de légèreté, comme Kundera aimerait. Tu essayes tout de même de ne pas te laisser distraire par la mention seule de ton employée et te diriges vers la réserve - d'où on entend toujours très bien tout ce qui se passe dans le bar. Tu reviens les bras chargés de prises et raccords divers et pose le tout à même le sol avant de revenir vers Ulysse.

Ouais, ouais bien sûr. Si elle est pas déjà à temps complet c'était à cause de cet autre travail de toute façon, donc dès qu'elle est libre, moi je serais ravi d'avoir un peu plus d'aide ! Tu souris de façon un peu niaise, en faisant parcourir tes doigts sur le bar comme si tu avais la nécessité de bouger, l'incapacité de rester immobile. Au fond, tu ne souhaitais évidemment rien de mal à Astrid, mais était heureux si elle avait envie de venir plus souvent au Red Lion. La seule chose qui te chagrinait était que, bien entendu, c'était Ulysse qui t'annonçait cela. Toujours, Ulysse.

Un peu perdu dans tes pensées où le visage d'Astrid s'y retrouve comme attiré, tu secoues ta tête comme pour enlever toutes ces déviations de ton esprit. Astrid, tu n'en es pas amoureux, c'est juste un crush que tu as depuis longtemps, qui te hante un peu, mais que tu sais sans chance réelle. Un petit fantasme comme pourrait l'être Pénélope Cruz ou Nathalie Portman. Mais une fois ta tête vidée, tu montres du doigt l'espace de la future scène. Vous allez être trois groupes ce soir. Tu veux que The Murderers Ponies passe à un moment précis ? Au début, à la fin... Et puis, j'hésitais à faire une vraie scène, qui reste tout le temps. Genre construire un petit truc, tu en penses quoi ?... Car après tout, le bar est grand et le coin scène se trouve dans une petite salle annexe. La réserver aux soirées thématiques, ça t'a toujours trotté dans la tête...

Tu gloussais un peu en imaginant déjà Astrid à temps plein ici. Tu la verrais plus souvent, vous pourrez discuter encore plus, ça, ça te plairait. Mais ça voulait aussi dire que Ulysse et ses visites à l’improviste la ravirait plus que jamais... Tu n'étais pas stupide, tu l'avais bien vu qu'elle avait un petit crush pour lui qui n'était pas capable de s'en rendre compte. Pour lui, Astrid était juste une fille comme une les centaines d'autres qu'il doit côtoyer. C'est un musicien, il ne les compte plus, pas vrai ? Mais pour toi, même si te persuadais que ce n'était que passager le temps de trouver quelqu'un avec qui partager ta vie, Astrid c'était cette fleur qui se démarquait des autres, avec des pétales qui rayonnent, comme une Jonquille. Un Narcisse Jaune, et le nom n'est pas anodin, puisque Narcisse n'était-il après tout pas le plus beau de toute la Grèce ?

Mais rien. Ulysse n'en fait rien, il est comme un jardinier placide qui ne daignerai pas même rempoter cette belle fleur pour qu'elle puisse s’épanouir avec du terreau bien frais. Lui, il est ce chien fou qui creuse un trou, se fait remarquer, mais qui à force de ne pas en faire plus, ne fait que regarder la fleur se faner. Du moment qu'Astrid n'en souffre pas, tu n'interviens pas, mais tu surveilles. Un jour peut-être, tu auras cette conversation avec lui où tu lui taperas les doigts d'être si aveugle... Pour le moment, tu continues d'apprécier sa compagnie et de faire avancer ta routine car dernièrement, ce n'est pas comme si le chien avait la rage ni même des crocs. Vendu pour les derniers ! Je vais aller noter ça, avant de l'oublier. Tu t'avances vers le bar derrière duquel tu sors une petite feuille. Tu es quelqu'un d'organiser, et il faut bien cela lorsque l'on tient sa propre entreprise. Te saisissant d'un stylo bic dans le pot à crayon à côté de la caisse, tu notes avec attention l'ordre dans lequel les groupes passeront.

Ah oui ? Ca te plait ? J'y songe sérieusement depuis plusieurs mois déjà, je pense que je vais sauter le pas avant l'été là... Tu reviens vers lui en souriant, heureux que ton idée plaise. C'est sûr que ce serait pratique oui ! Et puis je me disais que quand j'ai rien d'organisé, pas de soirées karaoké, théâtre d'impro, musique... Je pourrais y faire une exposition de petits artistes du coin. Y'a pas mal d'étudiants des beaux-arts qui font de belles photos, ou des peintures. Ça leur ferait une première expo à noter sur leurs CV, ça donnerait son petit côté hipster-dandy-californien au bar, haha ! Ce côté hipster-dandy, tu as tendance à le fuir mais tu n'es pas dupe. Tu vois bien que c'est ce qui plait, ce qui attire la clientèle. Et après tout, tu n'es pas fondamentalement contre l'art alors pourquoi pas !

Tu t'en sors ? Tu le regarde se battre avec les câbles emmêlés tandis que toi tu as décidé de noter les noms des groupes de la soirée sur l'un des tableaux en ardoise que l'on voit sur un des murs du bar. Tu prends ta plus belle écriture, celle avec laquelle tu as noté les horaires dehors, où les noms des bières pression au-dessus du bar. Ce genre de graphies parfaites où l'erreur est interdite, qu'on croirait sorties d'un ordinateur. ... Il est tordu le i de Ponies, non ? Oh, et le P est obèse... Tu te recules en demandant son avis à Ulysse et penche légèrement ta tête avant de te mettre à pouffer de rire. Écris comme ça, les Murderers Ponies deviennent des Murderers Bones, ce qui est beaucoup plus drôle.

Comme t'évertuer à bien écrire les groupes sur ce tableau te prends du temps, tu écoutes avec attention tout ce qu'Ulysse a à dire. Toutes ces idées et ce qu'il soulève est plutôt intéressant, tu n'avais pas réfléchis à la question de la commission, quant au reste, ses remarques te confortent dans ton idée de faire quelque chose. En dix ans le bar a déjà très franchement évolué, mais toujours encore aujourd'hui tu grouilles d'idées que tu hésites à exploiter. Avec un client comme Ulysse, avec qui tu t'entends bien et que tu considères comme un ami, tout te semble toujours plus simple. Il n'est pas du genre à se prendre la tête mais plutôt à vivre l'instant présent. Toi qui a besoin de tout planifier, c'est sûrement pour cela que tu l'apprécies.

Cependant, une fois de plus tu hésites à lui servir de whisky qu'il réclame. Tu hésites, puis vous discuter de ton écriture un peu difforme, ce qui t'aide à changer de sujet, mais tu vois bien qu'Ulysse n'est pas du genre à oublier que son verre soit vide. Bah, tu peux essayer de réécrire les groupes bien proprement ! En t'époussetant les mains pleines de craies, tu passes derrière le bar et sort une éponge humide que tu balances sur le blondinet. Tiens, utilise ça pour nettoyer. Derrière ce meuble qui te protège, tu ne sais pas quoi faire quant à ce second verre commandé. Tu commences à déboucher la bouteille puis finis par te permettre une remarque. Tu es sûr que tu ne veux pas quelque chose de plus soft ? Il est encore tôt, il faut que tu sois au taquet pour la soirée, après que vous ayez joué je te servirais ce que tu veux mais avant... sûr ?

Tu détestes jouer le rôle de Sam, celui qui conduit, celui qui est gentil. Mais tu n'y peux rien, tu t'inquiètes beaucoup et c'est d'ailleurs l'une des choses les plus difficiles pour toi en tant que patron d'un bar : où se situe la limite ? Où est ta responsabilité dans le faire de saouler un client ? Est-ce que ça ne revient pas parfois à profiter de faiblesses d'une personne en déprime ? Vraiment, tu détestes ce genre de situation. Pour Ulysse, il ne s'agit pas de déprime, mais bel et bien d'une addiction. Tu commences à le réaliser sérieusement, de plus en plus, et tu ne sais pas vraiment quoi faire. Peut-être qu'il faudrait que tu en parles à sa sœur, aux membres de son groupe... A Astrid ? Mais en attendant tu ne dis rien, lui remplis son verre, mais le rempli un peu moins que la dose habituelle. Tiens. Je vais commencer à bouger un peu les tables et les chaises, mais de ton côté pose-toi simplement, y'a pas grand chose d'autres à faire. Tu sors de ta tanière et commence à chambouler toute l'organisation du bar pour laisser la place aux groupes de s'installer. Puis un couple entre dans le bar, de nouveaux clients. Tu te relèves et regardes Ulysse, avant d'ajouter sur le ton de la plaisanterie : Tu veux t'occuper d'eux ? Jouer le serveur ? Un grand sourire se placarde sur ton visage, rien que d'imaginer Ulysse servir quelqu'un te fait juste mourir de rire.

La tête entre deux tables qu'il fallait bouger pour faire de la place, tu te mis à rire en voyant à quoi ressemblait à présent le tableau d'annonce des groupes. En secouant la tête, blasé mais amusé, tu soufflas avant de disparaître dans la remise où tu stockais l'ameublement de trop. Tu ne réagis pas plus que cela à ses remarques sur sa façon de tenir l'alcool. Ulysse était grand, il connaissait ses limites et ses envies, et de ton côté tu t’efforças de ne pas t'inquiéter. Oublier ton rôle d'ami compatissant et remettre bien vite sur ton dos le manteau du patron de bar avare, bien heureux de faire payer des verres de plus ; toi qui détestais ça.

Quand les deux clients arrivèrent, tu observas la scène de loin. Les chaises demandaient toujours à être bien mises en place, et Ulysse avait cette petite fibre qui fait de quelqu'un un bon commerçant : appelez ça l'aisance, ou le charme, mais toujours est-il qu'il est sympathique de lui parler. Le couple, tout sourire, commanda l'une des bières en pression, une stout, ainsi qu'un verre de vin. Mais histoire de bien embêter le pauvre Ulysse, la femme demanda des conseils sur les vins blancs proposés par le bar, qui étaient au nombre de trois. Alors là, tu t’arrêtas, attendant de voir ce qu'Ulysse trouverai comme idée incroyable pour se sortir de ce pétrin.

Après deux minutes, tu t'avanças vers le pauvre garçon. Je prends la relève Ulysse, t'en fais pas ! Il reste juste deux chaises à bouger et ce sera prêt. Tu peux ? Ta tête se balanças en direction du coin scène qui n'attendrait bientôt plus que les groupes pour être finalisé. Rapidement, tu finis de servir et encaisser le jeune couple, qui demanda au passage des informations sur le concert de ce soir.

Une fois fait, tu remarquas que dehors se trouvaient déjà les membres du premier groupe qui devait se produire. Après avoir soufflé un peu, tu fais signe à Ulysse pour lui comprendre que tu reviens et sors les prévenir qu'ils passeront en premier. Ils sont plutôt contents et conciliants, pas comme d'autres qui se prennent parfois pour des princesses. Alors tu leur souris et leur rappelle qu'il peuvent avoir quelques consos gratuites pour eux s'ils le souhaitent, et que la scène les attendait déjà. En retournant à l'intérieur douillet de ton bar, tu regardas Ulysse. Tu as appelé tes collègues au fait, qu'ils se pointent pas trop tard ?