Playing Dirty? - Emiliana & William

Un rire léger s'échappe de mes lèvres, des notes joyeuses et amusées que je sais bien faussé en temps normal. Oh, il ne faut pas se méprendre, elle m'amuse cette fille et sa comparaison aussi. Il n'est que, sans contrôle sur moi-même, mon rire aurait sonner un peu plus dédaigneux. Je n'ai que peu d'estime pour les collectionneurs, qu'ils soient amateurs ou non. Ce n'est peut-être que la brochette que j'ai croisé qui m'en donne une mauvaise opinion, mais très peu pensent à ce que peut représenter une pièce à travers le temps. Ils n'y voient qu'une série de zéro et la renommée que la possession de X tableau ou Y sculpture pourra leur rapporter. Ce n'est que business. Sans compréhension. Et les amateurs, c'est pire. Ce sont des dealers de fond de ruelles qui disent posséder de l'ambroisie, alors que ce n'est que de la pisse de chat. On en croise parfois au musée, des deux catégories, venu faire évaluer une pièce dite "extrêmement rare". Ma patronne aime à m'envoyer les pires dans les pattes pour me tomber sur les nerfs. J'adore les lui refiler ensuite pour la paperasse d'attestation que je ne suis - ô malheureusement - pas autorisé à remplir. Un certificat d'attestation d'origine pour une babiole à 35$? Oui, j'en ai déjà fait. Et, oui, elle a dû les signer.

Mais pour en revenir à la conversation présente et à la demoiselle présente devant moi, à cette table de petit café, j'en souris alors qu'elle m'explique que je suis apparement un phénomène rare avec lequel, pour une fois, elle arrive à interagir sans retourner sans se planquer dans sa coquille de bernard l'ermite. Même si elle est nettement plus agréable à regarder que ces bestioles!

Creusant délicatement la surface, mettant à jour quelques découvertes, j'en comprends qu'un certain événement a dû se produire il y a un an, puisqu'elle cite le chiffre alors qu'elle affirme préférer le monde numérique pour "différentes raisons." Cette expression utilisée pour indiquer un sujet sensible, prière parfois subtile pour indiquer que la personne veut livrer la suite de ses secrets. Il ne suffit quelques fois que d'un petit commentaire, une invitation douce et les valves sont ouvertes pour en savoir plus sur les futilités qui créent de profondes angoisses que l'on peut manipuler avec plus ou moins de précision en choisissant les bons mots, les bons moments. Cependant, avec Emy, je ne chercherai pas à ouvrir le flot, me doutant qu'elle me confiera le tout, petit à petit si je sais faire preuve de patience. Elle a plus ou moins besoin d'un gentleman, un type sympa qui lui fera reprendre confiance. Et je peux en être un. ...En apparence.

- Je ne le prends pas mal, hochais-je en déposant la tasse de laquelle je viens de tirer une gorgée. Je devrais plutôt m'en compter ...chanceux? Hypothésais-je. À moins que ce ne soit une façon détournée de me dire que je n'ai rien de masculin? Plaisantais-je d'un ton léger.

Distraitement, j'hoche la tête à ses autres paroles. Ce n'est effectivement pas l'écran de son ordinateur qui lui permettra de voir le vaste monde. Même si c'est un début lorsqu'on n'a pas nécessairement les moyens.

- Tu as des paysages, des choses que tu aimerais voir en particulier? La questionnais-je, réellement curieux.

Peut-être qu'elle saura éviter les clichés vacanciers et m'en sortira quelques choses pour piquer mon attention.

Ma plaisanterie l'anime et la fait rire, elle secoue la tête faisant voleter quelques mèches, niant que mes traits peuvent passer pour ceux de l'autre genre. En somme, je ne suis pas efféminé. C'est bien à savoir. Je le savais déjà, mais bon, faisons comme si ce n'était pas une évidence. Lâchant un petit soupir comme si j'avais retenu mon souffle, je pose une main sur mon plexus, jouant une mauvaise comédie exagérée simplement pour la faire rire un peu plus.

- Tu m'en vois soulagé! commentais-je avant de rire quelques peu et de reprendre mon sérieux.

Une confession sur les lèvres, elle suspend ses paroles le temps de prendre une gorgée, peut-être pour évaluer si il est bien ou non de laisser filer le flot de mots qui se pressaient en ma présence. Suis-je la bonne oreille pour entendre le tout? Me redressant sur ma chaise, je m'appuie sur la table, la tasse cessant de bouger entre mes doigts, mon regard ancré au sien comme si tout mon corps avait compris qu'il s'agissait d'un moment unique, le genre de chance d'en apprendre un peu plus sur elle qui ne repassera pas de si tôt. Qu'y-a-t-il de dingue dans la vie d'Emiliana?

Le liquide ayant glissé dans sa gorge pour lui insuffler un peu plus de courage, elle finit par me confier son grand désir : parcourir le monde en n'ayant que son sac comme seul compagnon de voyage. Mes yeux suivent ses gestes distraitement selon le flot de ses paroles prouvant l'intérêt qu'elle porte à ce rêve. Ce n'est pas le genre de projet appris par coeur pour impressionner paraître cool devant des amis ou des inconnus, d'une certaine manière, ça vient la chercher jusqu'à l'intérieur. Reste à savoir si elle aura le courage de le faire.

Loin de rire, je me contente d'un sourire doux, la couvant peut-être un peu du regard, comme si elle était la chose la plus charmante qu'il m'aie été donné de rencontrer. Puisant mon bouquin dans la poche arrière de mon jeans, j'en tire la photo qui me sert de marque page. Ignorant la vue à couper le souffle, mes yeux cherchent quelques secondes à peine parmi le petit groupe, la tête blonde ébouriffée qui me caractérise. Glissant la photo vers Emy, je tapote ma silhouette et lui laisse apprécier le reste du décor : des falaises rougissant doucement par le soleil couchant, une végétation qui s'est frayé un chemin malgré tout, des chutes au loin et le bassin d'eau tout près duquel on venait de s'extirper. Quelques connaissances de chaque côtés, les sacs posés sur les pierres pas très loin.

- Kakadu National Park en Australie, l'an dernier, la renseignais-je avec un petit sourire confident, mon accent australien claquant momentanément un peu plus. Je ne trouve pas ça dingue, confiais-je en me penchant vers elle, sur le ton du secret, ajoutant un clin d'oeil avant de me redresser pour ne pas la mettre mal à l'aise.

L'une des nombreuses photos accrochés sur le mur de l'appartement, faisant parti des nombreux souvenirs des six dernières années. L'habitude d'envoyer plus ou moins régulièrement des photos par la poste ou quelques films à faire développer à l'appartement. Être de retour après des mois d'absences pour constater que la sous-location à pris la peine d'accrocher les plus époustouflantes sur le mur à cet effet... Avant c'était ça.