C'est pas ce vous croyez... c'est ce qu'on dit toujours !

J’avais passé une journée éreintante. Le genre de journée de tournage qui démarre à cinq heures du matin et qui s’achève douze heures plus tard. On avait bossé comme des acharnés, et malgré les temps de pause qui nous étaient assignés, la fatigue était belle et bien là. Arrivée dans ma superbe villa de Beverly Hills, je me dirigeai dans mon salon tandis que mon assistante me suivait. Je lui demandai de me rapporter un verre de Chardonnay avant de lui laisser sa soirée.

J’étais installée face à ma cheminée éteinte, sirotant mon verre de blanc. Il faisait nuit, les lumières de la piscine étaient allumées. Mon garde du corps avait lui aussi regagné son pied à terre dans ma maison, j’étais seule. Je me souvins alors que Sunny était là. Ce ne serait que la semaine prochaine que son connard de père la prendrait, et je cherchais encore comment lui pourrir la vie à cet enfoiré. Il m’avait trompée il y a de cela six ans, ce qui lui avait valu un divorce en bonne et due forme. Je n’avais toujours pas digéré l’affront et malgré le yoga et les séances de psy, j’avais toujours les nerfs après lui. Comment avait-il pu oser me faire ça à moi ?
Enfin bref, ma petite poupée était là et j’avais envie de la voir, prendre de ses nouvelles, savoir si sa journée s’était bien passée.

- Sunny ? Appelai-je en me levant et me dirigeant vers l’escalier monumental en marbre.

C’est là qu’une présence inconnue se dessina. Je fronçai légèrement les sourcils. Qui était-ce ? Je m’avançai et vit un gamin de l’âge de ma fille. Qu’est-ce qu’il foutait là celui-là ? Où était ma fille. Je montai l’escalier à sa rencontre.

- Qui tu es, toi ? Je peux savoir ce que tu fous chez moi ?

J’espérais que ce n’était pas un voleur, ça ferait encore les gros titres ce genre de connerie, je n’en avais pas besoin en ce moment, j’avais beaucoup de pression.

- Où est ma fille ? Demandai-je aussitôt, quelque peu inquiète.

En montant davantage les marches, je pouvais entendre le bruit de l’eau dans sa salle de bain qui était la plus proche de l’escalier. Elle était sous la douche… une minute… Elle était sous la douche et un gamin de son âge était là, l’air penaud et coupable devant moi. J’ouvris de grands yeux ronds qui manifestaient sûrement très bien ma colère et ce à quoi je pensais. Sunny venait d’avoir seize ans, et je me rappelais bien comment j’étais à son âge…

- Oh seigneur… lâchai-je avant d’avaler cul-sec ce qu’il restait de mon verre de vin.

Je regardais ce gamin, le coeur serré. Ma fille n’avait que quinze ans et l’imaginer si jeune avec un garçon dans son lit, ça me dérangeait. Pourtant, à son âge, j’étais déjà avec son père, mais à présent, nous étions séparés et j’avais l’impression d’avoir gâché seize ans de ma vie, je ne voulais pas que la même chose lui arrive. Probablement un réflexe de maman. On pouvait m’accuser de beaucoup de choses, surtout mon ex, mais j’aimais ma fille plus que tout. Je dévisageai ce jeune homme d’un air un peu sévère et j’osais espérer qu’il n’aurait pas le cran de me mentir. Il prétendait qu’ils avaient un travail de groupe à faire.

- Ah oui ? Répondis-je dubitative. Où est le reste du groupe ?

Elle est sous la douche, elle avait chaud… Mon dieu, comme si ça pouvait me rassurer !
Je soupirai. De toute façon, si le mal était fait, c’était trop tard.

- Vous avez mangé ? Je meurs de faim. Viens avec moi.

Je pourrais le cuisiner un peu mieux que dans l’escalier. Mon assistante avait sûrement laissé de quoi dîner pour moi dans la cuisine. Je ne savais pas cuisiner, heureusement que j’étais bien entourée.

- Je ne connais toujours pas ton nom, jeune homme, dis-je en descendant l’escalier avec lui. 

Nous arrivâmes à la cuisine. Mon assistante avait laissé la bouteille de Chardonnay sur le plan de travail, elle me connaissait et savait que je ne m’arrêterais pas à un verre. Je m’en resservis un et regardai le gamin.

- Il doit y avoir des jus de fruits dans le frigo. T’as pas l’âge pour boire du Chardonnay.

Et je ne voulais pas que ma fille boive des sodas, du moins pas à la maison. Je n’avais que des jus de fruits frais et bio que mon assistante faisait venir tous les jours.

J’étais méfiante vis-à-vis de ce jeune homme que je voyais pour la première fois. Je l’étais toujours avec la gente masculine depuis la séparation avec Nolan. Je n’avais tout simplement plus confiance en les hommes, pour moi, ils ne servaient désormais que de divertissement. Et je ne voulais pas que ma fille connaisse les mêmes déceptions que moi. Elle était trop jeune, trop magnifique, trop parfaite pour subir tant de peines. Alors voir ce gamin ici alors qu’elle était sous la douche éveillait tous mes soupçons. Voilà qu’en plus il essayait de jouer au plus malin.

- Deux personnes pour moi c’est un binôme. Un duo, à la rigueur… Enfin bref.

Je lui intimais de venir avec moi dans la cuisine, au moins il ne serait pas dans sa chambre si elle sortait de la douche complètement nue. Et puis il eut cette manière de mettre les pieds dans le plat. Cette innocence quelque part me rassura.

- OK… Oui, tais-toi, c’est mieux, dis-je avec un sourire ironique.

Puis, il enchaîna sur le fait que ma fille trouverait un garçon un jour.

- Alors je t’arrête tout de suite, jeune homme, je n’ai aucunement envie de parler de ça avec toi. Quant à votre exposé, eh bien j’espère que vous aurez une bonne note. Il est sur quel sujet ?

J’étais assez exigeante quant aux résultats scolaires de Sunny mais il semblait que ce ne soit pas toujours sa priorité. J’avais toujours été excellente en classe, j’en avais même sauté deux, mais ma fille n’avait pas hérité de moi pour ça. Mais il fallait qu’elle apprenne que dans la vie, il fallait travailler dur pour s’en sortir. Je sirotai une nouvelle gorgée de Chardonnay tout en dévisageant mon jeune interlocuteur.

- Vas-tu enfin me dire comment tu t’appelles ?

Ce n’était toujours que la troisième fois que je le lui demandais, et cela me semblait la moindre des politesse que de se présenter quand on s’incrustait chez quelqu’un. Je posai mon verre sur le plan de travail avant d’aller ouvrir le frigo, j’en sortis une bouteille de jus d’orange pressée que je lui tendis, ainsi qu’une assiette de crudités coupées en bâtonnets. Je la posais sur le plan de travail et donnai ensuite à l’adolescent un verre.

- Sers-toi,dis-je en prenant un bâtonnet de carotte. Alors, tu connais Sunny depuis combien de temps ?

Ma fille ne me parlait pas souvent de ses amis. Comme toute adolescente, elle était assez secrète sur sa vie. Je ne les connaissais que lorsqu’elle me demandait de les inviter à la maison pour un week-end piscine. Je préférais les savoir chez moi que seuls à vagabonder en ville ou à la plage.

Les explications de Caleb me semblaient bancales, je ne pouvais m’empêcher de douter de chacune de ses paroles. Ce gamin ne m’inspirait pas confiance. Si ce n’était que pour un devoir, pour Sunny ne m’avait-elle pas prévenue ? Je détestais les surprises, et me retrouver nez à nez avec un étranger chez moi, même un gamin de quinze ans, ne me plaisait pas du tout, et ma fille le savait.
Je grignotai mon bâtonnet de carotte, entendant enfin le prénom du jeune homme, ce n’était pas trop tôt. Les grandes vacances approchaient à grand pas pour les écoliers, collégiens et lycéens et j’avais du mal à comprendre le but de ce devoir. Apprendre à connaître son binôme ? Ce prof manquait-il à ce point d’idées ? Je soupirai intérieurement quand enfin ma princesse arriva. Mon visage s’éclaira quelques secondes en la voyant, mais je n’en oubliais pas mes craintes quant à la présence de ce garçon à la maison.

- Bonsoir Sunny.

J’esquissai un sourire en coin en réponse à son tirage de langue. J’aimais tellement ma fille, c’était indescriptible.

- J’aurais apprécié au moins un petit message pour me prévenir, ma puce. Alors, il est à rendre pour quand ce projet ?

Je repris mon verre de vin pour l’en délester d’une gorgée, regardant tour à tour les deux adolescents. Quelle heure pouvait-il bien être ? Je perdais totalement la notion du temps, mon travail me faisait commencer ou terminer à des heures totalement décalées par rapport aux personnes « normales », et souvent je ne faisais que croiser ma fille, hormis pendant les jours off. Je regardais la pendule avant de poser à nouveau mon regard sur notre invité surprise.

- Quelqu’un passe te chercher, Caleb ?

Sinon, j’enverrai mon garde du corps le ramener avec l’une de mes voitures. Hors de question de prendre la responsabilité qu’il lui arrive quelque chose sur le trajet du retour. Je pensais déjà au week-end prochain que Sunny passerait chez son père et cela m’énervait. Je refusais de voir ou d’entendre parler de cet homme, et savoir ma fille chez lui me révulsait. Mais il était son père et il ne lui avait rien fait de mal à elle. Voilà pourquoi je ne voulais pas en parler, Sunny n’avait pas à m’entendre être acerbe à son sujet, même si je n’en pensais pas moins.

- Vous commencez les cours à quelle heure demain ? Si tu veux je t’accompagne, proposai-je à ma fille.

Il était tellement rare que nous puissions passer du temps ensemble quand je travaillais.