"after all this time ?" silian

Le lycée était déjà ouvert depuis quelques jours, de quoi permettre aux transfert et aux inscriptions de se faire plus facilement. Le temps aussi pour moi de voir avec certains élèves en avance, dès qui avait déjà eut des soucis lors de l’année précédente et avec qui il fallait discuter aujourd’hui de cette nouvelle année avec leurs parents. Il y avait clairement une multitude de choses à faire et prévoir et bien que mes journées soient à clairement aléatoire, je chômais rarement. Je venais d’ailleurs de finir avec une adolescente étant récemment sortie de l’hôpital après une tentative de suicide heureusement raté. Nous avions passé plus de deux heures ensembles, sortant même de mon bureau pour aller se promener un peu, pour qu’elle ne pense pas qu’il était question ici d’un règlement de compte. On était juste la pour parler, pour savoir comment elle voyait les choses, comment elle voulait commencer cette années. Elle n’était sure de rien, mais elle acceptait qu’on l’accompagne et c’était déjà un grand pas. Finissant donc par la laisser rentrer chez elle, j’allais rejoindre mon bureau quand, au détour d’un angle, je faillis rentrer dans quelqu’un que j’évitais de justesse. Levant alors les yeux vers lui, j’allais m’excuser quand son visage se détacha de tout le reste dans mon esprit. Comment c’était possible au juste ?

Ouvrant légèrement la bouche, à moitié choqué, je dus secouer la tête avant de sourire, toujours un peu surpris, mais incapable quand à comment je devais agir, « Julian… C’est une surprise… », soufflais-je en ne sachant pas vraiment ce qu’il faisait, pas au lycée, mais à Los Angeles. De ce que j’avais suivi dernièrement, il était à New York avec son mari… D’ailleurs inutile de souligner que cette nouvelle m’avait fait l’effet d’une bombe tant je n’y aurais jamais cru. Et tant, dans un sens, j’avais été déçu qu’il ne me le dise pas à moi. Ça m’avait fait réfléchir un temps sur l’importance de ce que j’aurais pu lui dire et comment ça aurait changé les choses. Mais maintenant dans tout les cas c’était trop tard, il était marié depuis bien longtemps à un homme qui semblait parfaitement charmant de ce que mes parents avaient pu m’en dire. « Félicitation pour ton mariage au fait, mes parents me l’on apprit et j’ai pas pensé à te féliciter. », ce que j’avais vraiment envie de dire, c’était que c’était surprenant, et inattendu, très inattendu, mais ce n’était pas le genre de chose qu’on devait dire quand on revoyait son meilleur ami non ? Tout comme je n’aurais pas du être aussi stressé malgré mon sourire apparent. Je n’aurais pas du être aussi gêné, pas du être aussi crispé à l’idée de le voir. Notre amitié avait disparu dès que nous nous étions éloigné, prouvant une nouvelle fois que les promesses d’enfance n’avaient aucune importance quand l’innocence disparaissait. J’étais content de le voir, réellement, mais on avait perdu beaucoup trop d’année pour que l’homme que j’ai devant moi soit encore ce meilleur ami. « Ça fait plaisir de te voir. », repris-je avant la même joie de vivre. Inutile de repenser à quoi que ce soit, j’avais suffisamment de chose à régler dans ma propre famille pour me permettre de regretter mon comportement avec lui.            

Cela faisait seize ans que Julian n’avait plus mis les pieds dans ce lycée et pourtant, dès l’instant où il passa les portes, un sentiment de familiarité l'enveloppa aussitôt. Ça n’avait rien de très agréable, à vrai dire, bien au contraire l’homme se sentait plutôt mal à l’aise. Venir ici n’était pas une très bonne idée, il commença à s’en rendre compte alors qu’il arpentait les couloirs vides du bâtiment, de son passé. Depuis dix minutes qu’il était là, Julian n’avait croisé personne et le lycée vide était plus impressionnant encore que dans ses souvenirs. Et quelque part, il l’aimait davantage sans âme qui vive. Il en fut d’autant plus convaincu quand, à l’angle d’un couloir, il manqua de percuter une autre personne, retrouvant son équilibre à la dernière seconde avant qu’un véritable désastre ne l’humilie complètement. Dès l’instant où ses yeux se posèrent sur la personne ayant manqué de devenir la victime de son inattention, il reconnut l’homme et son coeur s’emballa. Et s’il en avait douté un instant, il fut désormais persuadé que venir ici aujourd’hui était une mauvaise idée. Son visage resta crispé un moment alors que l’homme face à lui réalisait peu à peu et quand, enfin, l’autre le salua, il se força à afficher un sourire tout sauf sincère. “Simon ? Une vraie surprise, c’est clair !” lança-t-il aussi joyeusement que le lui permettait sa gorge nouée.

Julian était revenu à Los Angeles depuis sept mois et pas une seule fois il n’avait croisé son ami d’enfance. Il fallait que ce soit aujourd’hui, maintenant… Au moment où il se sentait le plus faible, le plus hésitant. Il aurait dû résister à l’urgence de retrouver quelques souvenirs du passé. Il aurait dû rester au bureau et ne jamais plus penser à ce lycée. Son sourire fut plus crispé que jamais quand son ancien ami le félicita pour son mariage. “Merci.” répondit-il sobrement, incapable de faire semblant plus longtemps. Vivre sans Simon dans sa vie n’avait pas été aussi difficile qu’il l’imaginait seize ans plus tôt, quand il n’était encore qu’un enfant stupide et naïf. Mais la gêne qu’il sentait entre eux en ce moment… C’était presque irréel, à vrai dire. Ils avaient été si proches et maintenant… “Content de te revoir aussi.” Il inspira discrètement et fit de son mieux pour chasser le malaise qui refusait de lui lâcher la main. Seize ans avaient passé, certes, mais ils étaient des adultes désormais, n’est-ce pas ? Et ils avaient chacun leur vie, chacun mieux à faire que de se regarder en rougissant comme des idiots sans savoir quoi se dire. Il se racla la gorge et fit la seule chose qu’il pouvait donc faire : prétendre que tout allait bien, que ça n’était rien d’autre que surprenant de croiser son ancien ami ici. “J’ai appris que tu avais une fille. Et des projets de mariage, toi aussi. J’imagine que les félicitations s’imposent.”

Il détourna rapidement les yeux pour cacher son visage à Simon. “Qu’est-ce que tu fais ici ?” demanda-t-il en désignant le couloir autour d’eux d’un vague geste de la main. Quelles étaient les chances qu’ils se croisent ici aujourd’hui, sérieusement ? “Toi aussi, t’as été pris d’une soudaine nostalgie de ce lycée ?” Il essaya tant bien que mal de lâcher un rire et y parvint presque, si ce n’était le manque total de sincérité dans cette simple tentative. Plus que jamais il était partagé entre l’envie de fuir et celle de rester là à assouvir son besoin presque malsain de savoir.

Je doutais si sincèrement que la situation puisse devenir plus tendu, pourtant c’était ce qui était en train de se produire. Il me remercia, répondant sans doute plus par politesse qu’il était heureux de me revoir que par réalité. Comment en étions arrivé là Julian ? Comment d’enfant et d’ado inséparable, on avait pu passer à deux adultes à peine capable de s’adresser la parole ? Comment tout ce qui avait été vécu avait pu voler à ce point en éclat ? Comment ? Souriant plus par obligation que par envie, mon coeur se serra lorsqu’il parla d’Elise et de ce mariage que j’avais accepté uniquement par culpabilité. « Merci. », répondis-je sans me défaire de ce sourire légèrement plus crispé, « La première fois que je couche avec une femme j’ai réussi à la mettre enceinte… », lançais-je dans une tentative d’humour qui m’avait rappelé combien j’aurais voulu l’avoir avec moi pour m’aider, pour ne pas me faire croire que j’étais le pire des crétins. J’avais fait une erreur que je ne regrettais pas, mais j’avais du traversé ça avec elle et mes parents, je n’avais jamais eu le seul et unique allié de ma vie à mes côtés en cet instant. J’avais réalisé seul que j’avais fait une connerie et le pire sans doute c’était que j’aurais voulu plus lui parler du fait que j’avais couché avec une fille, avoir un semblant de réponse sur pourquoi et comment j’avais pu me retrouver à faire ça. J’aurais voulu dédramatisé le fait d’avoir trompé mon mec de l’époque avec une fille. Mais j’avais juste été plaqué, et on avait continué en ne s’y arrêtant pas. Il m’avait manqué.

Soupirant presque en le voyant détourner le regard, je sentis le poids s’alléger légèrement de mes épaules quand il me demandait ce que je faisait ici, présumant d’un excès de nostalgie pour le lycée. Si seulement… « Pas exactement. », commençais-je en me disant que j’aurais voulu lui dire réellement tout ce qu’il y avait à savoir sur moi, mais que cette pointe de jalousie ne rendrait rien réel. « Quand j’ai fini mes études, et que j’ai réalisé qu’Henry était si souvent absent avec l’hôpital, j’ai en quelque sorte comprit que ma fille allait grandir seule et je n’en avais pas vraiment envie. », et aujourd’hui, même si j’étais là, ma fille regrettait l’absence de celui qu’elle considérait comme son père. Ma présence n’avait rien changé pour elle, elle était toujours abandonné par un des ses parents, « Du coup je me suis dit que j’allais aider les jeunes à s’accepter et accepter de parler de ce qui leurs font peur, et il y’a un peu plus d’un an on a démangé ici pour se rapprocher de mes parents et j’ai été engagé ici comme conseiller scolaire. », on avait surtout déménagé car Henry ne rentrait plus que quelques semaines à l’années et que j’étais seul à San Francisco, seul dans une ville qui m’avait permit de revivre, mais qui pourtant aujourd’hui m’étouffait.

Tout ça, il n’avait pas besoin de le savoir, il n’avait pas besoin de connaitre les moindres détaille de cette vie. Nous n’étions plus amis après tout… « Je suppose donc que tu as été prit d’une soudaine nostalgie ? », demandais-je avec un sourire qui sonnait toujours aussi faux pour moi. Il était venu ici pour ça, car visiblement il ne savait rien de ce que je faisais, pas plus que je savais ou il travaillait. Le nombre d’évidence nous repoussant loin l’un de l’autre étaient affolante et pourtant… Le revoir, savoir… c’était toujours aussi important. Il resterait différent de tout les autres. « D’ici quelques jours ça va grouiller de lycéens et les chaines alimentaires vont se reformer… », soufflais-je alors que je regardais le couloir à mon tour. D’ici quelques jours, des jeunes serait poussaient contre des murs, d’autres humiliés et ça serait à moi d’agir pour les aider. On ne devait pas céder face à la violence.

Jusqu’à ce qu’il connaisse le nom du fiancé, Julian n’avait même pas réalisé à quel point il était heureux d’ignorer ce détail. Un prénom, ça n’était pas grand chose, mais une raison de plus de rendre cette personne humaine et réelle. Il aimait mieux cet homme quand il n’était qu’un vague concept. Il se flagella aussi en ayant cette pensée. Il ne connaissait pas ce mec, après tout et il n’avait aucune raison de ressentir une telle antipathie à son sujet. Qu’importe que ce soit un médecin souvent absent et qu’il n’ait pas l’impression que Simon soit fou de bonheur en parlant de lui… Julian n’était plus un gosse, il n’avait plus le droit d’agir comme tel. “Un conseiller scolaire, hein ? Ça te va plutôt bien.” lâcha-t-il plutôt, sincère cette fois, même dans son sourire encore un peu crispé. C’était bien loin de leurs rêves de devenir de grands avocats, prêts à tout pour sauver le monde, mais bien des choses avaient changé au cours de ces années. Sauf lui, sans doute. Il se sentait désespérément comme l’adolescent qu’il avait été, à cet instant, face à Simon au milieu d’un couloir de leur lycée. Et c’était tellement désagréable, d’autant plus d’être mis face aux si nombreuses différences qu’il détestait tellement.

Il revint à la réalité assez brusquement quand son ancien ami déduisit que lui était là par nostalgie et cette fois, le sourire qui lui échappa n’avait plus rien de crispé et de timide. “C’était vraiment une jungle dans le fond, cet endroit, pas vrai ?” fit-il remarquer en baladant une fois de plus son regard sur les alentours. Lui n’en avait pas trop souffert, mais il y en avait eu tant d’autres… Simon le premier. “Heureusement maintenant, les élèves ont droit à un super conseiller scolaire pour les protéger. De notre temps, on avait pas cette chance.” Et il n’était certainement pas le plus doué pour aider son ami, à l’époque. S’il avait eu le courage de s’assumer à l’époque… Il s’était surpris un peu trop souvent à imaginer tout ce qui aurait pu être différent et ça n’était pas beaucoup plus agréable. “Mais, ouais, j’ai eu un petit coup de nostalgie. On est revenu vivre à L.A depuis sept mois et… je sais pas, tout ça me manquait. J’avais envie de voir si c’était toujours comme dans mes souvenirs.” Il haussa les épaules comme si ça n’avait aucune importance et même que c’était une idée un peu idiote, ce qu’il pensait très clairement en cet instant.

“Je suis vraiment content d’être tombé sur toi.” souffla-t-il après un court silence. Et c’était vrai, quelque part. Bien sûr que c’était douloureux de faire face à tous les changements et à cette gêne, mais… Simon avait été son meilleur ami pendant presque dix-huit ans. Il ne regrettait pas de le revoir, bien au contraire et s’il sentait coupable de ne pas avoir été l’ami idéal, il ne le devait qu’à lui-même. “Je suis désolé, Sim.” ajouta-t-il, sans doute plus bas encore. “Pour toutes ces années où je me suis laissé… envahir par la vie. J’ai été le pire meilleur ami du monde, hein ?” Un rire un peu jaune lui échappa, mais il devait bien admettre sa part de responsabilité dans ce qu’était devenu leur relation. “On devrait sortir, un de ces soirs… Rattraper le temps perdu. Si ça te tente.” Voilà une autre idée parfaitement désastreuse qu’il avait là, tiens. Il doutait sérieusement que quelque chose de bon pourrait ressortir d’une telle sortie, si ce n’est qu’il prendrait un peu plus conscience de ses erreurs et qu’il mettrait certainement Simon mal à l’aise avec cette invitation…

Il trouvait que ce choix de carrière m’allait plutôt bien et cela m’arracha un sourire un peu plus franc, comme si malgré toutes ses années, il avait toujours autant d’importance. Comme si son avis pouvait encore influencer ma vie. Il pouvait ? J’avais un doute, une crainte, bien que légère, d’être encore attaché aux vestiges d’un passé que j’avais pourtant oublier depuis longtemps. « Merci. », soufflais-je toutefois avant de m’intéresser à la véritable raison de sa présence ici. À la nostalgie peut-être avant de parler de combien l’endroit reprendrait vie d’ici peu. Tournant de nouveau les yeux vers le couloir, je ne pouvais que d’être de son avis. Les lieux n’avaient pas toujours été porteur de bon souvenir. Et bien souvent, j’étais rentré avec des bleus uniquement car j’étais différent. Souriant un peu plus tristement à la suite de ses mots, je refermais mes bras contre mon torse, me perdant légèrement dans la contemplation des lieux. Je ne voulais pas que d’autre enfant puisses vivre ça sans un véritable soutien de l’école et j’étais là pour ça, bien que soyons franc, j’avais tout de même était soutenue, « Être gay à l’époque ce n’était pas encore quelque chose de courant, et malgré tout le directeur avait su entendre, on avait de la chance malgré tout.  », c’était les parents qui ne comprenait pas vraiment pourquoi leur cher fils était trainé ainsi dans la boue. Rien de plus.

Dans tout les cas il avait bel et bien été nostalgique, il était ici depuis sept mois et ça avait fini par lui manquer. J’avouais non sans mal qu’être venu ici n’était pas anodin dans mon cas, j’avais eu le même besoin, si ce n’est que j’avais voulu faire quelque chose. Reportant mon attention sur lui lorsqu’il avoua avoir été heureux de tomber sur moi, je répondis avec plus de douceur que tension, « Moi aussi. ». Et puis quelque chose auquel je ne m’attendais pas arriva, des excuses, murmuré, comme une honte. Des excuses pour toutes ces années où il s’était jugé comme ayant été le pire meilleur ami du monde. Il avait prit ses distances avec moi à mesure que mon homosexualité s’imposait. Il n’avait plus été vraiment là et on s’était abandonné mutuellement. Aujourd’hui, de toute évidence, il avait été dans la même situation que moi, il n’avait simplement pas assumé par peur des réactions des autres. Il ne pouvait pas réellement s’en vouloir ou savoir et moi… Disons que j’avais pu faire mon deuil de ce que j’avais cru être de l’amour pour lui. « C'était un nouveau départ pour toi et moi... », une nouvelle vie ou l'on pouvait s'assumer ou oublier, « Et je suppose que je n’ai pas été le meilleur non plus ? », demandais-je simplement. Je n’avais rien vu, j’avais simplement désiré l’homme sans l’aider réellement.

Sa proposition de sortir un de ces soirs pour rattrapé le temps perdu n’était malheureusement pas aussi simple à accepter. Car c’était sortir un soir, et je supposais qu’il y aurait son mari, et je n’avais pas envie de voir en chaire et en os cette homme beaucoup trop sympathique sur des photos déjà. Tant que je ne le voyais pas, il restait juste une figure fictive. Il restait juste un être humain que je n’étais pas obligé de côtoyer comme les autres car je ne pouvais pas être méchant. « Je devrais trouver une baby-sitter avant, mais oui, on peut faire ça. », en priant pour que je ne me retrouve pas seul avec eux, deux. Bon ma fille pouvait se garder seule, mais j’avais toujours un peu de mal à la laisser seule et ça me permettait peut-être de complexifier cette possibilité. De la rendre moins viable. Ou plus distante. J’avais envie de retrouver Julian, mais je savais que c’était impossible et je savais que si c’était le cas, ca ne serait jamais sans prix. Et en parlant de prix… « Au fait j’ai apprit pour ton père, je suis sincèrement désolé, je sais que mes parents vont souvent voir ta mère, mais si elle a besoin de quelque chose… N’hésitez pas. », présenter des condoléances, c’était sans doute stupide, mais ça repoussait un peu cette idée de recréer des liens avec lui. Ça me laissait le temps d’accepter sa présence, d’accepter ce mariage qui prenait forme.    

D’un haussement d’épaules, Julian repoussa la question de son ami au loin. Il ne reprochait certainement pas à Simon de ne pas avoir cherché à garder le contact ou de ne pas avoir été présent pour lui dans un moment de sa vie où tout semblait tellement plus compliqué et insurmontable. Julian avait choisi de garder le silence, il avait choisi aussi de tourner le dos à son passé pour se concentrer sur un avenir qu’il imaginait plus radieux et plus simple. D’une certaine manière, il ne regrettait pas ses choix. Après tout, il menait une vie plus que correcte aujourd’hui, n’est-ce pas ? Il n’avait aucune raison valable de se plaindre en tout cas et il savait qu’il n’en serait pas là s’il n’avait pas laissé derrière lui tout ce qui l’empêchait de s’ouvrir réellement à l’époque. La seule chose qu’il regrettait réellement, c’était Simon et la manière dont il l’avait balayé de sa vie comme une vulgaire poussière. Et depuis la première fois qu’il avait choisi de regarder de l’avant, il s’efforçait de continuer ainsi, même aujourd’hui où il préférait ignorer la question de son ami et proposer plutôt de se retrouver. Après seize ans, ça lui semblait assez compliqué, mais l’invitation lui avait échappé avant qu’il n’ait le temps de réfléchir à toutes les implications et vu la surprise qui le traversa quand Simon accepta si aisément, il ne s’était même pas attendu à obtenir gain de cause. Il offrit un sourire à son ami, essayant de se calmer. Le coup de la baby-sitter pouvait aussi bien être une manière polie de refuser sans le vexer, après tout.

Et puis, tout à coup, c’était un peu comme s’ils n’avaient plus rien à se dire alors même qu’ils ne s’étaient pas parlés une seule fois en seize ans. Un silence gênant menaçait de s’installer au point que la voix de Simon résonnant de nouveau fut un vrai soulagement. Du moins jusqu’à ce que les mots n’atteignent réellement l’esprit de Julian. Il baissa les yeux et haussa de nouveau les épaules. “Merci.” souffla-t-il. “C’est gentil, mais ne t’en fais pas pour elle, Drew est avec tous les jours… Ils sont quasiment inséparables, tous les deux.” Un rire silencieux lui échappa à ces mots, son esprit s’égarant brièvement et douloureusement vers son mari. Était-ce normal qu’il ait l’impression de le trahir en ne faisant rien d’autre que de se tenir debout au milieu des couloirs d’un lycée, à faire face à son plus vieil ami dans le monde ? Probablement que non. Rien de tout cela n’était très simple à aborder et honnêtement, Julian commençait à se sentir un peu mal, ressentant de plus en plus de difficultés à respirer correctement et à rester debout. Il n’avait aucune idée de ce qui lui prenait, à vrai dire, mais il savait que toute cette situation le mettait mal à l’aise et qu’il détestait cela. Même sans s’être parlé pendant des années, il n’aurait jamais imaginé que Simon et lui se retrouvent face à une telle difficulté à communiquer et à se regarder en face.

“T’es occupé, là ?” demanda-t-il soudainement, reconnaissant tout juste le son de sa propre voix. Le lycée semblait complètement vide, mais il ne devait pas l’être si Simon était là, s’il avait pu entrer lui-même. Mais au moins, ça signifiait aussi que quelqu’un gardait déjà sa fille, n’est-ce pas ? “J’suis censé être au bureau pendant encore quelques heures, mais j’ai pas vraiment envie d’y retourner…” admit-il, essayant de sourire sans que ça ne paraisse trop forcé. “On pourrait aller boire ce verre maintenant ! T’en dis quoi ?” Il parvint même à offrir un sourire joyeux avec ça.

Ce n’était plus simplement l’inconnu, ce n’était plus juste son mari. C’était Drew. À présent il avait un nom, et il semblait adorable, encore plus qu’en photo. Il restait avec sa mère pour s’en occuper, ils étaient inséparable… Pourquoi j’avais du mal avec ça ? Pourquoi le fait qu’il s’occupe de la mère de Julian m’agaçait ? J’étais ridicule. Il était plus important que quelqu’un s’occupe de sa mère, il était plus important qu’elle aille bien, qu’elle soit entouré, pas que sa perfection m’énerve. Prenant sur moi pour ne pas avoir l’air plus agacé que je ne l’étais, je répondis avec toute la gêne du monde, « C’est super de sa part. », et ça me dérangeait profondément aussi. C’était une mauvais idée, tout cela était une mauvaise idée. J’étais heureux de le voir, cela faisait tellement longtemps que ça n’était pas arrivé, mais s’était étrange. Être heureux, sans l’être. Être gêné, et presque jaloux. Je n’aurais jamais cru possible que son bonheur me dérange autant. C’était stupide, très clairement, c’était mon meilleur ami, je ne pouvais que lui souhaiter du bonheur, mais moi, en ayant assumé dès le début, en n’ayant pas voulu me cacher, je n’étais pas pleinement heureux. Je n’étais pas pleinement satisfait comme j’aurais du l’être. J’avais un homme extraordinaire dans ma vie, mais il n’était pas là, il n’était pas avec moi en cet instant et ce soir il ne pourrait pas effacer tout mes doutes en un baiser.

Julian me surprit, me demandant rapidement si j’étais occupé actuellement, ce qui me surprit au point que je ne réfléchis pas en répondant, « J’avais qu’une adolescente à voir aujourd’hui, je comptais simplement faire des dépliants le reste la journée. », déclarais-je avant de le regretter lorsqu’il expliqua qu’il était censé être au bureau encore quelques heures et qu’il n’avait pas envie d’y retourner. Boire un verre maintenant ? Je me sentis légèrement paniquer, me décomposant presque alors qu’il me souriant d’une façon que je n’avais pas vu depuis tellement d’années… Je dus dérober mon regard, regardant autour de moi pour chercher quoi dire. Je ne pouvais pas refuser. Je ne pouvais plus reculer. « Je dois juste aller déposer mes notes dans mon bureau, mais ok. », soufflais-je en reportant mon attention vers lui, lui souriant simplement avant de lui faire digne de me suivre pendant que je reprenais la route. Marcher me fit du bien, et j’arrivais un peu plus détendu dans ce bureau de taille moyenne et aux fenêtres vitrés. Il y avait bien une petite salle à l’abris des regards dans le fond, là ou personne ne pourrait vraiment regarder, ni présumer de quoi que ce soit quand les élèves le voulaient. Déposant la feuille sur mon bureau, je posais un rapide coup d’oeil sur Henry et Elise trônant sur mon bureau avant  de prendre mes clés alors que mon ordinateur s’éteignait.

Relevant les yeux vers lui alors que je prenais ma veste je lui posais une question un peu stupide, « T’as une adresse en tête ? Et on y va chacun de son côté ? », histoire de pouvoir fuir au besoin. J’étais sans doute un peu parano, mais c’était la première fois depuis bien trop longtemps que j’allais me retrouver avec lui, seul. Et j’aurais préféré avoir plus de temps pour accuser le coup. J’aurais préféré prendre plus de temps pour accepter cette idée. J’aurais préféré prendre plus de temps pour me faire à l’idée qu’il pourrait y avoir quoi que ce soit de nouveau entre nous. Quoi que ce soit qui ne soit pas mort avec notre amitié il y a bien longtemps.      

Il aurait pu refuser, être le plus intelligent des deux et leur éviter un moment particulièrement gênant, mais non. Julian laissa un grand et faux sourire étirer un peu plus ses lèvres et, d’un signe de tête, invita son ami à ouvrir la voie, suivant de près jusqu’au tristement célèbre bureau du conseiller scolaire. Autant dire que Julian n’avait pas passé énormément de temps dans cette pièce par le passé et dès lors qu’il posa les yeux sur le bureau installé au milieu de la pièce et sur la jolie photo de famille, il pria pour ne pas avoir à en passer plus maintenant. Mais peut-être qu’avec un peu de chance, une fois que Simon et lui auraient souffert ce moment gênant, les choses retrouvaient un peu plus de normalité entre eux. Ou bien ils feraient en sorte de s’éviter pour encore seize longues années, au choix. L’homme détacha subitement son regard de la photo à une nouvelle question et eut besoin de quelques secondes à cligner des yeux pour retrouver toute son attention. “Je suis venu ici en Uber…” expliqua-t-il en pointant inutilement sur la porte du bureau. “Je n’ai pas de voiture, j’essaye de réduire mon empreinte carbone, tu sais…” Il haussa les épaules et se mordit la lèvre, décidant de combattre pour ne pas annuler si rapidement sa petite invitation que personne ne l’avait forcé à faire, après tout. Ça n’était pas parce que Simon proposait une logistique très simple qu’il n’avait pas réellement envie de le suivre, n’est-ce pas ?

“Tu te souviens de ce café où on allait après les cours, en terminale ?” demanda-t-il soudainement. Continuer son petit trip sur Memory Lane n’était pas forcément la meilleure idée qu’il ait jamais eu, mais… déjà, ils n’auraient même pas vraiment besoin de prendre une voiture pour se rendre jusque là. C’était suffisamment près du lycée pour qu’ils aient pu y passer des heures par le passé. Et puis, avec un peu de chance, peut-être que ça aiderait à détendre un peu l’atmosphère. Quoique pour cela, il aurait déjà fallu que Julian arrive à se détendre tout court et ça n’était pas encore gagné. Mais il comptait sur la bière pour l’aider dans ce sens, elle au moins c’était une amie qui ne le laissait jamais tomber. Cette pensée lui fit secouer la tête doucement, le laissant quelque peu stupéfait face à sa propre bêtise. Les choses n’auraient pas dû se passer comme ça, pas entre eux. De l’eau pouvait avoir coulé sous les ponts, il n’en restait pas moins que ce n’était pas normal. Et pour la première fois depuis qu’il s’était trouvé face à Simon aujourd’hui, Julian réalisa que s’il se sentait aussi gêné, il n’était peut-être pas le seul dans ce cas. À vrai dire, il était tellement nerveux qu’il voyait mal comment son ami n’aurait pas pu s’en rendre compte. “Mais si tu préfères y aller tout seul, je peux me débrouiller.” souffla-t-il en essayant d’être un peu plus ouvert. “Je ne veux pas m’imposer.” continua-t-il. “Je sais que ça fait longtemps et que les choses ont changé. Si ça te gêne, je comprendrais.” Et il ne disait même pas cela dans le but de prendre la fuite, pour une fois, il essayait vraiment de se détendre et d’être un peu moins stressé. La nervosité l’empêchait de rester en place et il n’aurait vraiment rien aimé plus que de marche, là tout de suite, mais si Simon ne le suivait que par politesse, autant en rester là avant d’empirer encore un peu les choses.

Venu en Uber pour réduire son empreinte carbone… J’avais oublié ce détail et je me sentais à présent terriblement ridicule, cruel et voir mauvais avec la nature, « Du coup c’est pas le moment de t’avouer que j’ai un SUV, qu’il consomme beaucoup, mais que c’est parfait quand tu reviens avec de quoi construire une cabane dans le jardin ? », demandais-je en essayant un peu d’humour pour détendre l’atmosphère qui semblait ne pas vouloir se détendre elle. Pourtant il fallait qu’on y arrive. Il fallait vraiment. Enfin moi du moins. Il reparla alors du café non loin du lycée, et il était vrai que nous y avions passé des heures et des heures, même si la terminale était déjà un peu la fin de notre duo à l’époque. Ça restait de bon souvenir. Hochant la tête pour confirmer, je reléguais mes clés dans ma poches avant qu’il ne me propose d’y aller seul, ne voulant pas s’imposer, les choses ayant changé. Oui les choses avaient changé, tu étais devenu gay quelques années trop tard et je pensais à tous sauf à ton bonheur en cet instant. Mais je n’allais certainement pas dire ça, à la place je lui souris, l’idée de pouvoir marcher un peu, de pouvoir souffler et retrouver mes esprits étant devenu bien trop important. « Je risquerais surtout de culpabiliser d’utiliser ma voiture pour un si petit trajet. », soufflais-je dans un faux rire, « Autant y aller à pied. ».

Sortant de mon bureau, je tenais toujours ma veste dans ma main quand je signalais rapidement aux secrétaires me départ pour finalement retrouver l’extérieur. De l’air, ça me faisait beaucoup beaucoup trop de bien. Glissant mes mains dans mes poches, j’attendis d’être suivi et qu’il revienne à mon niveau pour commencer à marcher. Même destination, mais plus la même alchimie. J’aurais pu refuser mille fois, et j’aurais du, mais c’était Julian et j’en étais incapable. J’avais juste envie de marcher, de me dire que rien n’était forcément perdu malgré les apparence. Si, en quelque sorte c’était fini, mais on pouvait encore tenir l’illusion n’est-ce pas ? « Du coup je suppose que tu habites dans ce genre de nouvelles maison autosuffisante ? », parler immobilier, très bien Simon, on pouvait avoir l’air encore plus gêné que ça ? « D’ailleurs vous avez emménagé ou exactement ? », loin d’Echo Park, c’était tout ce que je demandais, quoi que je n’avais rien vu en sept mois, mais il me suffirait de savoir pour le chercher, inconsciemment et de le trouver aussi. Qu’est-ce que je faisais ? Ça ne me ressemblait tellement pas.

Regardant devant moi un instant, je changeais rapidement de sujet, parlant de quelque chose qui m’attirait encore de bon souvenir, « Tu sais que l’équipe et nous sommes encore affiché dans la vitrine des trophées ? Personne n’a su faire mieux que nous avec un ballon de basket depuis une éternité. », en fait c’était pire. Les souvenirs étaient bon, mais ça revenait aussi à penser aux douches à ces regards fuyant me concernant à tout ses moments ou je devais attendre hors des vestiaires qu’une partie des mecs soient sortie et lavé pour ne pas me faire plaquer dès le lendemain. Et puis c’était repenser au nombre de fois ou je l’avais regardé lui, quand il ne fuyait pas encore. Au nombre de fois ou j’avais eu envie de me lever et lui dire que je l’aime, bien plus que comme un simple ami, et que je voulais passer le reste de mes jours avec lui. J’étais un gamin, idiot, mais un gamin réellement attaché à lui. Je pense que contrairement à toutes les fois précédentes, ça ne serait pas un café ou un chocolat que je prendrais, mais bien une bière, juste par ce que j’en avais terriblement besoin. 

Un demi-rire lui échappa doucement à l’évocation du SUV et il arqua un sourcil vers l’homme, sans chercher à cacher le jugement sur ses traits qui tenait plus d’une plaisanterie qu’autre chose. Il aurait probablement poussé plus loin et fait quelques reproches à son ami s’ils avaient encore été réellement amis, mais il se retint de faire le moindre commentaire et finalement, Simon se rangea à son avis d’y aller à pieds. C’était de loin la meilleure solution au monde. Et pas seulement à cause de l’écologie, mais clairement car Julian allait bientôt exploser s’il ne bougeait pas très vite. “Allons-y, alors.” offrit-il en faisant un signe de la main vers la porte du bureau, suivant Simon dès qu’il s’y engouffra. Et bien qu’il put enfin s’activer un peu, la nervosité de Julian ne retomba pas avant un bon moment. Pas avant qu’ils ne sortent enfin du lycée et certainement pas après que l’homme ne commence à parler, une tentative de faire la conversation qui se révélait assez… bancale. “Pas vraiment.” lâcha-t-il en haussant les épaules. “On a acheté une maison dans Echo Park. J’aurais préféré qu’on se prenne un terrain et qu’on fasse construire quelque chose, mais on était assez pressés alors, on a pris ce qu’il y avait…” D’un geste de la main, il désigna le vide autour de lui, comme si ça expliquait tout et il se sentit encore plus mal à l’aise que jamais. Tout ça était tellement réel. Une maison, un mari, une vie entière qu’il ne pourrait certainement pas faire disparaître et qui, pourtant, semblait peser lourd dans l’air autour d’eux. Il y avait tant de non-dits, surtout. Mais comment en parler ?

Simon n’en avait définitivement pas envie, en tout cas, comme il le prouva quelques minutes plus tard en changeant totalement de sujet de conversation. Il n’eut même pas l’occasion de retourner sa question à l’homme, ce qui n’était peut-être pas plus mal, après tout. Il n’avait pas vraiment envie d’en savoir plus sur la parfaite petite vie que Simon menait sans lui. “C’est vrai ?” s’étonna-t-il à cette anecdote un peu plus légère sur le basket. Ressasser leurs souvenirs de lycée suffirait peut-être à les faire renouer, après tout. “Faut dire qu’on était vraiment bon !” Il n’était pas sûr que ce soit vraiment le cas, à vrai dire, mais il gardait d’excellents souvenirs de ces années, de leurs moments avec l’équipe. De bien meilleurs que ceux de Simon, sans doute. “De quoi rester dans la légende jusqu’à ce que ce vieux bâtiment ne tombe en ruines.” assura-t-il, exagérant à peine. “Tu joues encore ?” Il s’était toujours vaguement demandé si Simon appréciait réellement faire partie de cette équipe ou s’il n’avait rien fait de plus que de le suivre, lui. Parce qu’ils faisaient tout ensemble, parce que c’était la seule manière dont ils imaginaient la vie à l’époque. Tout ou presque. Tout sauf le plus important.

Sans réaliser vraiment, Julian accéléra le pas, laissant la nervosité remonter brusquement et lui faire pousser des ailes visiblement. Il aurait presque pu se mettre à courir, là. Par miracle, il parvint à s’en empêcher et même à ne pas semer Simon en route. “Pourquoi avoir choisi ce lycée ?” demanda-t-il un peu brusquement. Il ne pouvait pas courir, mais parler aidait aussi, un peu. Et sur un sujet comme ça, il ne risquait pas de se heurter à d’autres problèmes, n’est-ce pas ? Il n’y avait rien de particulièrement gênant dans cette question et à aucun moment Julian ne pouvait imaginer une réponse qui continuerait de faire grandir son malaise. “Ça doit faire drôle de revenir ici tous les jours, toutes ces années après… Et de voir nos têtes de crétins dans la vitrine tous les matins.” Oui, bon… Il se sous-estimait peut-être totalement quand cela concernait sa capacité à rendre les choses difficiles. Rien que le fait qu’il soit là, avec son meilleur ami d’enfance à qui il n’avait pas adressé la parole depuis si longtemps, prouvait qu’il excellait même dans cet art.