Il osait encore faire comme si c’était lui la victime, je l’entendais à la tonalité exaspérée de sa voix. Il ne manquait vraiment pas d’air, et si je n’avais pas aussi froid, je lui aurais volontiers flanqué une gifle. Je me contentai de secouer la tête en le fusillant du regard. Il finit donc par enlever son haut, arguant, avec raison je devais l’admettre, que nos corps l’un contre l’autre se tiendraient chaud. Je tâchai de ne pas trop regarder ce torse si bien dessiné que j’avais vu des milliers de fois.
- Oui ben je pensais pas qu’il y aurait une nouvelle fois !
Force était de constater qu’il s’entretenait toujours. Il n’avait pas tant changé que ça en six ans. Peut-être juste quelques cheveux grisonnants sur ses tempes, et il fallait reconnaître que ça lui allait bien. De toute façon, tout allait bien à Nolan, il ne fallait pas être aveugle, il était beau et l’avait toujours été. Il avait la chance que les années ne ternissent pas sa beauté naturelle. Bien entendu, je ne comptais pas lui faire le moindre compliment, il ne manquerait plus que ça !
- ça va ! Me contentai-je de rétorquer pour éviter de dire mot pour mot qu’il avait raison.
J’avais levé mes fesses du sol pour aller récupérer une caisse de bières et la pousser du pied vers là où il s’était assis avant de lui tendre une bouteille. Ce goujat me demanda de régler la note et je soupirai.
- Pour qui tu me prends ?! T’es vraiment le dernier des rustres. Si je te file deux-cents dollars, ça ira ?
Il se foutait de ma gueule, encore, parce que je lui demandais d’ouvrir la bière. Il savait très bien que d’une part je n’avais jamais réussi à dévisser ces trucs, et puis d’autre part j’avais beaucoup trop froid pour faire des gestes aussi précis. Après lui avoir demandé de fermer les yeux, ce à quoi, comme toujours, il la ramena, je me défis de ma robe trempée et gelée et vint rapidement m’installer sur lui, me plaquant contre son torse et sifflant une grande gorgée de bière. Je détestai cette boisson, mais faute de mieux.
- Tu vois rien du tout alors tais-toi.
Il reprit la bouteille et moi, pour me venger de ses propos, je lui collais mes mains glacées sur les flancs.
- Voilà pourquoi je pouvais pas l’ouvrir… Et fous la paix à mes seins, ils ont pas changé depuis la dernière fois, espèce de voyeur.
Je lui repris sèchement la bouteille des mains et en rebus sans modération jusqu’à terminer le contenant. Un peu de chaleur m’envahit, c’était presque douloureux tant j’avais froid.
- Eh, ça marche un peu, ouvres-en une autre !
Je grelottais toujours et appuyai ma tête contre sa clavicule pour éviter que trop d'air ne circule entre nos deux corps. Mon souffle se perdait dans son cou, peut-être que ça le réchauffait un peu, je n’en savais rien. Tout ce que je voulais, c’était sortir d’ici, me foutre au soleil si la pluie avait cessé, ou dans un sauna, oui voilà un sauna, c’était exactement ce qu’il me fallait. Je fermai les yeux, songeant à cet idyllique tableau, mais j’avais l’impression d’avoir encore plus froid.
Un truc zen, une mélodie débile, un truc d'ascenseur, ou de spa. J'étais prêt à tout entendre, excepté la morue qui continuait à m'exaspérer. C'est dingue, nous nous sommes portant aimé plus que de raison, au grand dam de l'autre belle-doche. Tiens celle-là ne doit plus se sentir depuis six ans. Après tout, elles ne valent pas mieux l'une que l'autre, c'est indéniable, mais ce qui l'était aussi et bien malgré moi, c'était l'agréable vision de ce corps moulé dans une robe hors de prix. Jusqu'à présent, j'étais parvenu, avec succès à ne pas trop m'attarder sur ce « détail » mais puisque nous ne nous balancions plus de tubes de moutarde en pleine tronche et que sous peu la promiscuité serait de mise, j'étais forcé de constater, bien malgré moi, qu'elle continuait à prendre soin d'elle. En même temps vu le métier pratiqué, elle ne pouvait se permettre le moindre faux pas en termes d'image, mais quand même, il fallait l'avouer, elle était bien foutue, trop pour l'ignorer. Et... Je n'arrive pas à croire que je suis en train de penser ça, mais je devais reconnaître que sur elle, le temps n'avait commis aucun ravage, pire encore, je la trouvais encore plus.... Agréable à regarder. Ses formes divines n'avaient rien à envier à ces jeunes mannequins et autres demoiselles qu'il m'arrivait de draguer de temps à autre. Sally ne vieillissait pas, elle était magnifique et l'avait toujours était. Évidemment, je n'avais pas l'attention de l'affubler du moindre compliment, je n'étais pas désespéré à ce point.
Elle se traîna donc hors de mon périmètre, pour ramener de quoi nous désaltérer et quoi de mieux qu'une caisse de bière que j'avais payé la peau du cul. « - Moi le dernier des rustres ? Excuse-moi d'avoir un bar à faire tourner et de la bière à vendre. Pour ce qui est des deux cents dollars, je prends, faute de mieux. » Oui, je l'avoue, je me foutais « un peu » de sa gueule, mais plus encore lorsqu'elle me demanda avec une politesse qui lui était propre, de lui ouvrir sa petite bouteille, madame étant tout bonnement incapable de le faire elle-même. Pauvre petite chose ! Jusqu'alors les rapports de force étaient plus ou moins en équilibre, mais ça, c'était avant que le rapprochement ne se fasse et qu'elle vienne se coller à moi au sens propre comme au figuré. « - Je me tairais si j'en ai envie ! » rétorquais-je avec conviction pour ne pas faire voir un trouble naissant dû à notre proximité. Et alors que je reprenais la bouteille au goulot, cette saleté, sûrement pour se venger, apposa ses mains gelées sur mes flancs et effectivement, c'était désagréable « - Hey putain ça ne va pas ! Garde tes eskimos au frais, tu veux ? » Mais oui, effectivement, je comprenais mieux son incapacité quant à l'ouverture de notre salut. Elle n'en demeurait pas moins toujours aussi proche me traitant dès lors de voyeur.
« - Ah ok, je suis un voyeur parce que je parle de tes nibards ? Ah, attends pardon de ta poitrine que j'imaginais plus petite ! Voilà, j'ai utilisé les bons termes ? » Mais elle n'en avait que faire, elle, elle voulait une autre bière, parce que de toute évidence, l'alcool semblait la réchauffer. « - Merci d'avoir pensé à moi, tout dans le partage à ce que je vois. » Elle se mit alors à trembler un peu plus et apposa dès lors sa tête sur mon épaule, je pouvais même sentir, malgré la fraîcheur plus que relative, son souffle dans mon cou et ce n'était pas désagréable malgré la situation qui elle l'était. Assez agréable pour me réchauffer un peu et sans que je ne sache pourquoi mes bras l'entourèrent faisant ainsi mieux circuler la chaleur entre nous. « - C'est une mauvaise idée de se prendre une cuite. » Elle se mit alors à trembler un peu plus et apposa dès lors sa tête sur mon épaule, je pouvais même sentir, malgré la fraîcheur plus que relative, son souffle dans mon cou et ce n'était pas désagréable malgré la situation qui elle l'était. Tu m'as encore traité comme de la merde hier et tu continues encore. C'est légitime pour toi, c'est ça ? Et monter Sunny contre moi, ça l'est aussi ? » Mon regard la fixait avec intensité, ce dialogue je ne voulais plus l'avoir et pourtant nous en étions là. « - Ouais, je sais, ça t'exaspère, parce que selon toi, je joue les victimes. Mais je t'emmerde toi et ta bien-pensance ou que sais-je encore ! Ouais Sally, je t'emmerde, mais d'une force si tu savais. Six ans sans rien et te voilà à réapparaître comme une fleur pour récupérer ton putain de portable et pour raviver une colère dont je pensais m'être débarrassé. Mais non, il suffit que toi et ma mère vous soyez là, pour que le pire ressorte et crois-moi, si la situation n'était pas aussi chaotique, je t'aurais laissé te démerder » Je m'emportais et ça ne me ressemblais pas, mais pour ma défense, ces derniers jours furent riches en retrouvailles non désirées. « - Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter un karma aussi pourri ?! » finissais-je par laisser entendre, pas sûr d'avoir envie d'entendre la réponse de Sally.
Quoi que je dise ou fasse, ça n’irait jamais pour Nolan. Ce goujat réclamait déjà que je paye la note des bière éventuellement consommées alors que c’était SA foutue chambre froide qui n’avait pas de système de sécurité pour que l’on puisse sortir en cas de fermeture de porte avec des personnes à l’intérieur… Nous, en l’occurrence !
- Faute de mieux ? Tu veux combien pour une bière que tu vends six dollars en te faisant un max de marge ? Je sais encore compter aux dernières nouvelles, je pense qu’un billet de deux cents couvre largement une vingtaine de bouteilles.
J’espérais qu’après ça il arrête de me parler logistique. Je n’avais pas souvenir qu’il était si radin. Je ne tardai pas à lui coller mes mains froides, qu’il taxa d’esquimaux, tandis qu’il récupérait sa bouteille pour en boire lui aussi. Et moi, j’étais bien contente de pouvoir réchauffer mes mains.
- Mes esquimaux restent où ils sont, j’ai trop froid, je veux pas perdre mes mains !
Cependant, ma première gorgée de bière m’avait quelque peu réchauffée le gosier et ce n’était pas du luxe vu l’état actuel de mon corps qui tremblait et mes lèvres qui devenaient bleues.
- Attends tu m’accuses de pas partager ? La caisse est juste à côté de toi, ne me dis pas que t’es pas foutu d’attraper une bouteille ?
Je venais de terminer la première bouteille pour lui demander d’en ouvrir une seconde. J’étais prête à tout pour avoir chaud ne serait-ce que dix secondes.
- On risque pas une cuite avec deux ou trois bière, on n’a plus quinze ans.
J’avais tellement froid, c’était invivable. Presque à poil dans un frigo, réduite à me coller contre le corps torse nu de mon ex que je haïssais au plus haut point. C’était un cauchemar éveillé. Chaque parcelle de ma peau me brûlait, comme attaquée par le froid. Mes dents se mirent même à s’entrechoquer. Et Nolan, lui, continuait de parler. Je ne savais pas où il trouvait la force de déblatérer autant de conneries. Ma joue était apposée contre son épaule, je fermais les yeux, plissés par le caractère insupportable de la situation. Je souffrais physiquement et moralement de l’entendre encore la ramener.
- Je te traite comme de la merde ? Plains-toi, des milliers de personnes voudraient être à ta place en ce moment !
Tandis que le froid me mordait toujours plus, il commença à parler de notre fille.
- Qu’est-ce que… tu racontes comme… connerie encore ?! J’ai j… j...jamais rien dit à Sunny.
J’étais même en train de bégayer tant j’avais froid et tant mes mâchoires refusaient de suivre les mouvements que mon cerveau leurs envoyait. Je m’étais sentie obligée de décoller mon visage de son épaule pour le regarder dans les yeux, ce qui me causait bien du tort car ma joue avait encore plus froid maintenant. Même froncer les sourcils pour manifester mon mécontentement me faisait mal. Pourquoi est-ce qu’il parlait encore et continuait à m’accabler de reproches alors que dans l’histoire, c’était lui le plus coupable ? Il se foutait vraiment du monde, en plus il se plaignait de sa mère… je ne comprenais pas ce qui lui prenait. On allait crever ici, et lui il continuait à persister à jouer les victimes. J’avais envie de le tuer, j’étais prête à tout pour qu’il la ferme et me laisse avoir une dernière pensée pour ma fille avant de définitivement finir congelée. Alors, je n’eus trouvé d’autre solution, pour lui clore son clapet, que de coller mes lèvres aux siennes. Étrangement , ça me réchauffa un peu le visage. Les lèvres au contact des siennes récupéraient un peu de chaleur. Pourvu qu’il se taise, qu’il arrête de parler et de se plaindre pour un sort qu’il avait mérité.
C'était quoi le but du jeu ? Nous faire crever ensemble ? Le grand barbu ou que sais-je encore, n'avait-il pas autre chose à foutre que de m'infliger ça ? Qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ce qui me semblait être une voir des injustices ? N'étais-je pas un type bien ? Non, question rhétorique et pourquoi je conjugue mon verbe au passé ? Hey, tu n'es pas encore mort aux dernières nouvelles, et même si tu vis un enfer, tu es toujours présent mon cher Nolan, tâche de ne pas l'oublier ! Quelqu'un allait forcément finir par arriver et nous trouverait certes dans une position qui pouvait aisément induire le doute, mais on nous trouverait ! Oui, d'ici une dizaine de minutes à peine mon calvaire s'achèverait et chacun de nous pourra ensuite retourner à sa petite vie. Pour l'heure, il fallait attendre et supporter en plus du froid, la présence de Sally. J'espère que j'aurais le droit à une médaille après tout ça. « - On va vraiment se reprendre la tête pour une bière ? » Et alors qu'elle achevait la sienne, j'en attrapais une autre et une fois encore, ma bouche fut mise à contribution. De toute façon, je ne pouvais compter sur mes mains, elles même trop engourdies pour être utiles. Sauf que cette fois, c'est moi qui entrepris de me taper la moitié de bouteille avant de la tendre à mon ex.
« - Non certes, j'ai cru comprendre que madame tenait très bien l'alcool. Avec toutes les soirées auxquelles tu assistes, j'imagine que tu t'es fait la main. » Contrairement à la Sally de quinze ans qui elle ne tenait absolument pas l'alcool. Mais préférant ne pas m'attarder sur ce doux souvenir qui n'en valait plus la peine, je retournais sur le ring prêt à prendre des coups, car de toutes évidences, contrairement à Sally, je tenais encore la route, bien que mes mains, viles traîtresses, commencent à trembler avec ardeur. « - Ah non, tu ne me traites pas comme une merde, tu m'affubles de ta présence. Pardonne ô grâce de toutes les grâces, mon manque de savoir vivre. Toujours est-il qu'on est là et que j'échangerais ma place avec n'importe qui si je le pouvais, parce que contrairement aux communs des mortels, moi, je n'en ai rien à foutre de ta gueule » J'y m'étais du mien dans la mauvaise foi, cependant mon corps lui-même commençait à se détraquer et bientôt, ce fut à mon tour de bégayer. « - Putain... c'est pas possible... À L'AIDE !!!! ! Et oui, je commençais vraiment à flipper, car le temps commencé à se faire long, et même ma colère ne semblait plus me tenir chaud.
Je n'en étais pas encore à voir le tunnel s'approchait avec la lumière et tout le tralala, je n'en demeurais pas moins incertain quant à la suite des évènements. Et personne ne venait ? Et si c'était vraiment notre dernière heure ? Sally me faisait face à nouveau, sûrement bien décidé à me faire fermer ma gueule. J'eus à peine le temps d'attaquer à nouveau que ses lèvres se ruèrent sur les miennes. À ce moment très précis, mon esprit mettait tout en œuvre pour que je me détache de ce piège, cependant mon corps ne semblait décidé à obéir, pire encore mes mains vinrent se poser sur ses hanches et je répondis dans la seconde à ce que qui me semblait être un baiser. Je ne réfléchissais plus, mon cerveau était en veille. Ce contact, intensifiait à présent, redonnait des couleurs à nos visages. Et c'est toute une vague de chaleur qui envahit mon corps avant que ma bouche ne quitte la sienne pour plonger avidement dans sa poitrine. Mon bas-ventre répondait presque aussitôt à l'appel. Oui, j'avais envie, ici et maintenant, puisque c'était peut-être la dernière fois. Mes lèvres retrouvèrent alors les siennes et au moment où nous allions, je pense, passer un palier, la porte commença à s'ouvrir nous obligeant ainsi à nous séparer. Sans un égard pour Sally, je me relevais, récupérant au passage ma chemise« - Ah putain, tu nous as trouvé merci, merci merci ! » dis-je à mon serveur en le serrant dans mes bras. Intrigué, il posa tour à tour son regard sur moi puis sur Sally. « - Occupe toi d'elle ! J'ai à faire ! » Il me fallait de la distance, beaucoup de distance et le plus tôt serait le mieux.
Il fallait qu’il la ferme, vraiment. Je n’arrivais moi-même plus à parler et j’avais peur que ce soit la fin. Je n’avais trouvé d’autre solution pour le faire taire que de l’embrasser. Un baiser qu’il me rendit et qui, contre toute attente, me réchauffa un peu, contrairement à ses mains froides qui se posèrent sur mes hanches ce qui me fit sursauter. Ses lèvres quittèrent les miennes pour d’autres parties de mon corps, et même si elles étaient froides, elles l’étaient toujours moins que ma peau couverte de chair de poule. Je pouvais sentir que son corps à lui semblait en parfait état de marche malgré le froid, visiblement je lui faisais toujours de l’effet. Dans d’autres circonstances, avec quelqu’un d’autre, j’aurais peut-être trouvé ça flatteur… Mais là, avec lui, cet homme que je détestais et qui m’avait humiliée… Alors on en était là ? C’était peut-être ça la solution, ça me révulsait mais j’étais prête à tout pour survivre. Je n’étais pas prête à quitter ce monde, j’avais encore des choses à vivre, ne serait-ce que de monter au moins une fois les marches du Festival de Cannes, voir la première du dernier film dans lequel j’avais joué… Alors que les choses s’intensifiaient, un bruit attira notre attention. J’ignorais, à cette seconde précise, si c’était le fruit de mon imagination qui espérait tant un miracle, mais il s’avéra que la porte était en train d’être déverrouillée. Nolan bondit tel une mangouste, -je me demandai d’ailleurs comment il parvenait à mobiliser tous ses muscles-, me faisant tomber en arrière. Aussitôt je me relevai, ignorant les douleurs de tout mon corps mordu par le froid, et attrapai l’étoffe de ma robe pour me couvrir. Ça aussi, c’était douloureux. A peine avais-je remis ma tenue que la porte s’ouvrit sur l’un des employés de Nolan. Ce dernier lui tomba dans les bras alors que je récupérais ma ceinture et mon sac, tremblant de partout, essayant de m’approcher de la porte pour bénéficier d’un peu de chaleur. Le maître des lieux quitta précipitamment la pièce et moi, je titubai vers la porte. Le jeune homme me prit le bras pour m’aider.
- Heureusement qu’il ne devait pas être là, dis-je entre deux claquement de dents.
Bien vite, la chaleur de la température ambiante me raviva le teint.
- Merci d’être venu, vous m’avez sauvée.
Il n’avait sans doute pas idée à quel point. Il réalisa que c’était moi qui avais appelé pour récupérer mon téléphone et ne tarda pas à me le rendre. Soulagée, je pouvais enfin quitter cet endroit. Je ne me fis pas prier. Dehors, la pluie avait cessé. J’étais en colère, je ne savais pas vraiment après qui, si c’était contre lui, contre moi, contre le karma, mais cette journée était vraiment pourrie et il me fallait absolument une séance de massage.
Je tâchais de mobiliser tout ce qui pouvait encore l'être. C'était absurde, totalement, complètement, incontestablement et tous les mots qui finissent de la sorte. Étais-je en plein cauchemar ou dans un bien étrange rêve, que je voulais désagréable, mais qui ne l'était pas du tout ? La bouche de Sally pressait contre la mienne me permit de récupérer un peu de chaleur et de vitalité, mais plus encore, elle raviva ma mémoire et me fit entrevoir à nouveau quelques scènes cocasses que nous partagions. En l'espace de quelques secondes, ma raison déserta mon esprit et mon cerveau cessa de prendre la moindre décision. Mon corps était semblable à un aimant inexorablement attiré par son pôle contraire. Était-ce de la survie ? Dans le fond, ne me contraignais-je pas à agir ainsi juste pour tenter de me réchauffer ? Oui, c'est ce que j'imaginais, ou du moins, je tentais de m'en convaincre pour ne pas mettre en exergue l'autre alternative qui laisserait imaginer que j'ai encore une certaine attirance pour cette personne. Était-ce le cas ? Par chance, le cliquetis de la porte me sauva de la réflexion introspective. Quelqu'un allait enfin nous faire sortir de cet enfer glacé, un quelqu'un que je remercierai vivement avant de prendre la décision d'instaurer de nouvelles consignes de sécurité autour de la chambre froide, pour que plus jamais, une telle scène ne se produise.
Mes muscles, ragaillardis par l'étreinte buccale imposée, me permirent de vite me sortir de ce guêpier et au diable la galanterie. Je laissais donc Sally se démerdait avec sa robe, car malgré ce qui venait de se passer, je n'oubliais pas l'essentiel, ma colère et rancune à son égard. De toute évidence, mon cerveau venait de sortir de son état de veille. Hourra ! Réajustant ma chemise et après avoir offert une accolade à mon sauveur d'un jour, je quittais sans attendre le lieu et le périmètre de Sally. Je ne voulais plus la voir, j'avais eu ma dose, je laissais donc le soin à mon jeune barman de gérer la diva, moi, il me fallait un peu de chaleur, une bonne douche et d'autres fringues. Il me fallait aussi finir de ranger les réserves. J'espérais ne pas avoir pris trop de retard, j'espérais aussi vite me défaire de cette mésaventure. En rejoignant le bar, je vis Sally au loin récupéré son portable. Nos regards se croisèrent à peine et lorsqu'elle eut quitté mon établissement, toute la colère et le dégoût que j'approuvais pour elle, reprit en intensité. J'étais bien content de la voir s'en aller et j'espérais ne plus la revoir.
Quelques jours s’étaient écoulés depuis cette … - je ne trouvais pas de qualificatifs – mésaventure. Cela avait même fait parler la Bitch et j’en étais verte, cependant, comme à mon habitude, je faisais mine de l’ignorer, lançant mon hashtag « ignore the Bitch » qui marchait plutôt bien. Mes fans suivaient. Le tournage de la série avait repris et je travaillais d’arrache-pied pour tenter d’oublier cette mésaventure. J’avais l’impression que chaque regard qui se posait sur moi était inquisiteur et me demandait de justifier ma présence dans cette foutue chambre froide du Big Apple. Le producteur du long-métrage dans lequel j’avais tourné pendant la pause de la série me fit contacter. En effet, il fallait doubler vocalement certains passages, aussi m’étais-je prêtée au jeu en allant en studio. En plus, cela faisait une rallonge sur salaire. C’était un peu long car il y avait plusieurs passages à doubler et mon partenaire était en retard. Je discutai un peu avec les techniciens, certains que j’avais déjà vus sur plusieurs projets, du coup nous avions sympathisé. De fil en aiguille, nous venions à parler de la Bitch, puis des ragots.
« - Oui, c’est comme cette vidéo virale où on voyait soi-disant ton ex... »
- Comment ça, soi-disant ?
« - Bah clairement, avec un peu de matos et un petit zoom, on voyait bien que c’était pas lui. Bon, y a six ans, on n’avait pas les mêmes écrans disponibles pour tous, mais maintenant ça ne passerait pas, c’est clair. Enfin, j’imagine que c’est pas que pour ça que tu l’as viré… »
La voix de Marc résonnait dans ma tête alors que le maquilleur de la série s’occupait de moi. J’étais figée. Il me parlait, je n’entendais rien. J’avais dû repartir tourner l’après-midi, après cette matinée de doublage qui, du coup, m’avait ébranlée. Etait-il possible que Nolan ne soit pas cet immonde connard que j’avais cru qu’il était durant toutes ces années ? Je devais me concentrer, il était temps d’aller tourner. La coiffeuse réarrangea les ondulations de mes cheveux avec un peu de laque et je partis sur le plateau. Les prises défilèrent sans que le doute ne continue de m’étreindre. Je me sentais vraiment mal. Pour la première fois en six ans, je me demandais si j’avais eu raison.
Le dernier clap de la journée entendu, je retournai dans ma roulotte pour me changer. Je ne prix pas le temps de me démaquiller et de défaire cette coiffure qui me changeait quand même beaucoup. Je devais savoir. Alors, je pris ma voiture et me rendit au Big Apple. Le pub n’était sans doute pas encore ouvert à la clientèle mais Nolan devait sûrement être là. Comme il me l’avait si subtilement souligné, c’était son établissement, il y était tous les jours. J’entrai donc. Cette manie de ne jamais fermer à clé ! Je m’avançai vers le centre du bar, les chaises étaient encore relevés sur les tables. - Nolan ? Appelai-je.
Hors de question que je m’approche des arrières et de cette foutue chambre froide !
Quelques jours s'étaient écoulés depuis... Depuis quoi déjà ? Ah oui, cet évènement relégué par cette connasse de Bitch. Comment avait-elle ou il (rien n'est à exclure.) put savoir qu'une certaine personne dont le prénom commençait par « S » serait présente et se retrouverait avec moi dans la chambre froide. Par chance, tous les détails ne furent pas ébruités... Enfin de la chance... Tout est relatif. Et j'ai bien l'impression que cette satanée chance a désertée ma vie. Putain de karma ! C'est quoi le délire ? On me fait payer pour les erreurs d'une de mes vies antérieures ? Et en guise de jugement dernier, on m'envoie mon ex-femme et on nous enferme dans la chambre froide ! Oui, je ressassais encore ça comme si c'était hier, j'en étais désagréable, tant je me méfiais désormais de chacun de mes employés, à part Astrid qui avait fait ses preuves contrairement aux autres. Oui, j'étais à cran d'autant plus que les travaux de la nouvelle chambre froide m'avait coûté bonbon et que désormais, certains fans écervelés de celle que je me plaisais encore à appeler la morue, campaient quelque fois devant mon établissement, convaincu que leur petite star, allait sortir de je ne sais où. Crétins !
Aujourd'hui, n'était pas un jour spécial, enfin si on omet le fait que je devais laisser ces abrutis installer la nouvelle chambre froide. Suivant les conseils d'un de mes fidèles clients, j'avais opté pour l'alternative "sortie" et c'est armé d'une tenue de sport que je rejoignis la première salle de sport à proximité. Il me fallait un sac de frappe, telle fut ma certitude en franchissant les portes du temple de la gonflette. J'avais besoin de cogner quelque chose, d'extérioriser, de libérer ma colère, ma frustration et toutes ces énergies négatives qui polluaient mon esprit depuis plusieurs jours. « -AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHA ! » Le cri du cœur, ou celui d'un dératé après avoir assené plusieurs coups au sac. Mais cela me faisait grand bien et tant pis si je passais pour un malade mental. Je ne pus par la suite résister à l'envie de m'essayer à d'autre machine et ce qui ne devait durer qu'une petite heure durant une bonne partie de la journée avant que je ne rejoigne le bar ruisselant de sueur. La chambre froide était désormais aux normes et plutôt que prévue en plus. Bon et bien peut-être que tout n'est pas perdu ! « - Merci les gars ! » UN merci qui se traduisait par un « petit » pourboire à la hauteur de leur rapidité. Ceci fait, je devais tout ranger avant de regagner l'étage pour une bonne petite douche et bon dieu qu'elle était bonne cette douche froide. Et me revoilà au bar à tout nettoyer. La bonne humeur revenait progressivement du moins jusqu'à ce que je l'entende cette voix que je ne pensais logiquement plus entendre, si ce n'est derrière un écran.
« - Non, il n'y a pas de Nolan ici, vous vous êtes trompé d'endroit ! » tentais-je bien naïf de croire que cela allait fonctionner. « - Je ne suis pas dispo là ça se voit non ? Et si tu cherches ton portable, on a une boîte d'objet trouvé maintenant ! » Mon regard se posa aussitôt sur Sally, du moins c'est ce que croyais avant de la découvrir pourvu d'un tout nouveau look. « - Tu fais dans le relooking maintenant ! »
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en revenant le voir. Je me sentais comme une hors la loi sur le lieu du crime. J’étais venue deux fois en l’espace de quoi, une dizaine de jours ? Et cette fois encore, je ne me sentais pas à ma place. Mais je devais en avoir le coeur net. Après cette discussion avec le technicien, il s’avérerait que peut-être Nolan n’était pas coupable, du moins sur la vidéo. Je devais lui poser la question, les yeux dans les yeux et voir sa réponse. Avec le recul, ce serait sans doute différent. Il fallait que je le fasse. J’entrai donc, cette fois, point de pluie diluvienne venue tremper mes vêtements. Je sortais du tournage, j’avais juste remis mes fringues, à savoir une jupe assez fluide et un chemisier noué à la taille. Il faisait encore bien chaud. Me voici dans le bar à appeler mon ex, ma voix retentissait dans la salle déserte. J’entendis alors celle de Nolan me répondre avec une blague dont lui-seul avait le secret. Je m’avançai vers lui. Il était en train de nettoyer son comptoir. Sarcastique en plus de ça. Je pouvais le comprendre, mais en me sachant possiblement en tort depuis six ans, j’évitais de trop rétorquer.
- Écoute, si tu peux m’accorder cinq minutes, il faut qu’on discute. Sunny va bien, ne t’inquiète pas. Et j’ai bien mon téléphone.
Je me devais de le rassurer au cas où mes propos ne l’inquiètent au sujet de notre fille qui était dans son camp de vacances estival. Il me parla de relooking, je mis une poignée de secondes à comprendre et passai une main dans mes bouclettes.
- Ah ça… je sors du travail.
Je finis par m’accouder au comptoir. Je ne savais pas trop par où commencer.
- Nolan… Écoute j’ai besoin de te demander quelque chose, je veux que tu répondes avec honnêteté.
Il allait sûrement me prendre pour une folle, mais ça me hantait depuis des heures, il fallait qu’on en parle.
- Il y a six ans on n’arrivait pas à se parler, on ne faisait que se crier dessus et finalement, je n’étais pas prête à écouter parce que j’avais mal et j’étais en colère. Aujourd’hui, j’ai appris par un technicien que dans cette vidéo, ce n’était pas toi. Je voulais… juste te présenter mes excuses de ne t’avoir pas cru pour ça. Mais j’ai besoin de savoir si les autres rumeurs étaient vraies. Est-ce que avant l’épisode de la vidéo, tu m’as vraiment trompée ?
J’étais calme, je ne cherchais pas à me disputer avec lui, loin de là, je voulais juste savoir et je pense qu’il pouvait le voir dans mon regard malgré la pénombre de la salle.
Ouais, c'est vrai que le nettoyage ce n'est pas trop mon truc, mais pouvais-je faire autrement ? Moi qui pensais être bloqué pour la journée avec ces foutus travaux autour de la chambre froide, j'avais gentiment épargné à mon personnel de venir aujourd'hui. Manque de bol, la boîte embauchée, en plus de me prendre des honoraires de fous que vous couplez au devis, était pourvue d'ouvriers compétents. Grand bien leur fasse! Je me retrouvais donc seul jusqu'au moins 18 h 30, heure à laquelle la plupart des serveurs arrivaient. Ne pouvant me résoudre à les attendre et aussi parce que je ne suis pas un tyran, j'entrepris, avec un peu de musique, de dégrossir le nettoyage en optant pour un premier passage, armé de mon balai, avant de rejoindre le bar, pour lui offrir un peu plus d'intention. La surface en marbre, devait briller, là-dessus, j'étais intransigeant, quitte à frôler le maniaque. Comment ne pas l'être, puisque c'est l'une des premières choses que le client voit en s'approchant. Un comptoir dégueulasse n'incite pas le client à s'attarder et en toute logique, ça refrène sa consommation. Et puis j'avais encore besoin de me défouler un peu, malgré les douleurs naissantes dans mes deux bras. Nul doute que demain, après le service de ce soir, je comprendrais ma douleur. Mais j'en avais eu besoin, autant qu'une bonne bière fraîche lorsque la chaleur pèse. C'était dans l'immédiat, mais c'était utile. Et puis au moins à présent j'étais plus calme, prêt à affronter le reste de la journée, délester de ce je ne sais quoi qui me prenait la tête depuis plusieurs jours. Du moins, c'est ce que je croyais naïf que je suis. Il ne fallut pas bien longtemps pour que le karma vienne à nouveau toquer à porte en me rappelant à quel point, il m'avait à la bonne.
Sally, mon ex-femme, la morue, se tenait donc face à moi. Qu'est-ce qu'elle me voulait encore ? Cela ne présageait rien de bon et avec un sarcasme qui m'était propre en sa présence, je me permettais de lui faire savoir que je n'étais, de prime abord, pas disponible pour elle. « - Pourquoi je t'accorderais cinq minutes si tout va bien ? Tu peux me le dire ? » Dis-je sans tact en commençant à essuyer les verres que j'avais sorti de la machine quelques minutes auparavant. Je ne pus cependant m'empêcher, sans trop savoir pourquoi, de lui faire une remarque sur son look, qui je devais le reconnaître, lui allait vraiment bien. Nono ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Le compliment ne fait pas parti du champ lexical inhérent à la morue, tâche de t'en souvenir ! Et j'avais raison en un sens. Aucun armistice n'avait été signé, nous étions donc toujours censés être hostile l'un à l'autre. Et pourtant, aucun tabouret n'avait encore volé, et ce, malgré les tensions qui m'assaillaient à nouveau. « - Ok, admettons que j'ai cinq minutes, je ne t'en donne pas une de plus ok ? » J'attendis sa réponse avant de me délester des verres que je laissais sur le côté et du torchon que je portais encore à l'épaule, Sally, quant à elle, s'accouda au comptoir. Je ne saurais vous dire pourquoi, mais il émanait d'elle quelque chose d'étrange. Son ego était comme en veille et une réelle inquiétude que je ne connaissais trop bien, se lisait dans son regard. Qu'est-ce qu'elle me voulait encore ? Je redoutais le pire.
« - Bon bah vas-y, je t'écoute ! » lançais-je froidement les bras croisés contre mon torse. Une position qui laissait paraître bien des choses. En l'occurrence le besoin de m'auto-contrôler de peur de perdre patience alors qu'elle n'avait encore rien dit. Décidément, il n'y avait qu'elle pour me mettre dans un tel état. « - Ok donc tu veux que moi, je sois honnête ? » Je ne pus m'empêcher d'étouffer ce qui me semblait être un rire nerveux. « - Ok vas-y, je t'en prie demande moi ce que tu as à me demander qu'on en finisse ! » Et c'est ce qu'elle fit avec un calme que je ne lui connaissais plus. À l'inverse, moi, je riais nerveusement à présent avant de décroiser les bras. « - Donc tu es venue jusqu'ici pour me dire ça ? Après six ans ? » Je riais de plus belle incapable de me contrôler de toute évidence. « - Et, ils étaient où les techniciens il y a six ans hein ? Dis-moi Sally, as-tu pris le temps d'aller sur Twitter, de voir un peu ce qui se passait, ce qui se disait à l'époque ? Le hashtag #SallyMeriteMieux ça te parle ? Non bien sûr que non. Et attends de quelles autres rumeurs tu parles ? À oui, j'y suis ! Mon alcoolisme ? Bah, désolé de te décevoir, mais les problèmes sont apparus après, tu sais au moment où tu m'as réduit en poussière avec ton armée d'avocat. Mais puisque tu veux la vérité, on peut continuer non ? Oui, je t'ai menti, mais pas trompé. J'avais des dettes avec le bar, il fallait donc que j'essaie de les éponger en travaillant plus logique non ? Mais pas pour toi de toute évidence. Mais le pire est arrivé après notre magnifique divorce et grâce à ton armada de fans qui m'a bien pourri pour quelque chose que je n'avais pas fait. Ces gens voulaient tellement te voir avec l'autre guignol, qu'ils se sont amusés à balancer tout un tas de rumeurs. Le plus douloureux ce n'est pas de les lire, non le plus dur, c'est de voir le doute dans tes yeux et de me dire que tu étais prête à leur accorder du crédit alors que ce n'était que la putain de diffamation de personnes dérangées incapables de différencier la fiction de la réalité. Alors non, je n'en veux pas de tes excuses Sally. Tu m'as brisé et tu m'as volé l'amour de ma fille qui ne voit en moi qu'un odieux connard qui a trompé sa mère. Ca, je ne pourrais jamais te le pardonner, tout comme ton manque de confiance alors que pour toi, j'ai accepté de venir jusqu'ici. J'aurais tout donné pour toi, absolument tout parce que je t'aimais, mais toi passé assez de toute évidence. Donc tu m'excuses, mais les cinq minutes sont passées. Tu peux t'en aller maintenant, je crois qu'on a plus grand chose à se dire. »
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